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Selon plusieurs intervenants du milieu des régimes de retraite au Québec, diverses problématiques liées principalement au cadre législatif et réglementaire régissant les régimes PD font que ces régimes sont potentiellement appelés à disparaître. Parmi ces problématiques, on retrouve celle de l’asymétrie, c’est-à-dire le traitement divergent des surplus et des déficits. En effet, dans le cadre d’un régime PD traditionnel, l’employeur est, aux termes de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (la « Loi RCR »), responsable de combler les déficits du régime sans qu’il ait pour autant nécessairement accès aux surplus de la caisse de retraite.

La problématique de l’asymétrie n’est pas nouvelle et a été spécifiquement reconnue par la Régie des rentes du Québec (la « Régie ») dans son document de consultation intitulé « Vers un meilleur financement des régimes de retraite à prestations déterminées » publié en 2005. Dans ce document, la Régie mentionne que l’asymétrie constitue l’un des phénomènes pouvant expliquer pourquoi plusieurs promoteurs de régimes PD se limitent à verser les cotisations minimales requises dans la caisse de retraite, ceux-ci voyant peu d’avantages à la création de surplus pouvant éventuellement leur échapper.

Depuis la publication de ce document de consultation, de nombreux changements ont été effectués au cadre législatif et réglementaire régissant les régimes PD qui sont sous la surveillance de la Régie. Examinons dans quelle mesure certains des changements ainsi apportés peuvent avoir un impact sur la problématique de l’asymétrie.

1- L’utilisation de lettres de crédit
Le 1er janvier 2010, les mesures permanentes permettant l’utilisation de lettres de crédit sont entrées en vigueur. En vertu de ces mesures, un employeur peut financer tout ou partie de ses paiements spéciaux pour combler un déficit de solvabilité en fournissant au comité de retraite une lettre de crédit établie conformément au règlement (article 42.1 de la Loi RCR ).[1] Le montant d’une telle lettre de crédit ne peut cependant excéder 15% de la valeur du passif de solvabilité du régime (article 123 de la Loi RCR).

Cette possibilité d’utiliser des lettres de crédit accorde donc, en principe, une plus grande flexibilité aux employeurs dans la façon de financer leur(s) régime(s) de retraite. En utilisant une ou plusieurs lettres de crédit, un employeur se libère du paiement de certains montants de cotisations d’équilibre qu’il devrait autrement verser à la caisse de retraite. Bien que l’utilisation de lettres de crédit puisse être considérée, d’une certaine façon, comme une mesure ayant pour effet d’atténuer la problématique de l’asymétrie en allégeant le fardeau financier de l’employeur, une telle utilisation ne permet cependant pas à un employeur de se soustraire de son obligation de combler les déficits et n’est d’aucune pertinence quant à la question de la propriété et de l’accès aux surplus de la caisse de retraite par l’employeur.

2- La provision pour écarts défavorables (PED)
Depuis le 1er janvier 2001, tout régime PD doit constituer une provision pour écarts défavorables (PED). Cette provision s’accumule principalement à partir des gains actuariels du régime. Le montant de la PED est propre à chaque régime PD et les règles relatives à son calcul sont prévues au Règlement sur les régimes complémentaires de retraite (le « Règlement RCR »). De façon générale, la PED s’élève à environ 7 % du passif du régime. Tant et aussi longtemps que la PED d’un régime PD n’est pas pleinement constituée, l’employeur ne peut prendre de congés de cotisations.

Bien que la PED vise un but louable, soit de couvrir le risque lié aux fluctuations de la conjoncture économique, elle accentue d’une certaine manière la problématique de l’asymétrie en restreignant davantage certains paramètres applicables aux congés de cotisations patronales.

3- Le régime de retraite par financement salarial
En février 2007, le gouvernement du Québec est intervenu afin de permettre la mise en place d’un nouveau genre de régime PD où le risque financier de l’employeur est limité.[2] Ce nouveau type de régime porte le nom de « régime de retraite par financement salarial » (RRFS) et s’adresse avant tout aux travailleurs syndiqués.[3] Dans un RRFS, ce sont les participants actifs qui assument le risque financier. Ainsi, non seulement leurs cotisations doivent être au moins égales au solde du coût du régime, mais ce sont également eux qui doivent verser les paiement spéciaux afin de combler les déficits, le cas échéant. Quant à l’employeur, sa principale obligation consiste à verser sa cotisation, laquelle est déterminée à l’avance.

Un RRFS doit stipuler que seuls les participants et les bénéficiaires ont droit au surplus déterminé lors de la terminaison du régime. De plus, les règles relatives aux congés de cotisations patronales qui s’appliquent à un régime PD traditionnel ne sont pas applicables à un RRFS. Dans le cas d’un RRFS, les surplus ne peuvent servir à des fins de congés de cotisations patronales que si cela est nécessaire pour respecter les règles fiscales.

Un RRFS constitue donc une option qui, d’une certaine façon, vient pallier à la problématique de l’asymétrie. Toutefois, cette option s’avère limitée puisqu’elle est disponible uniquement pour de nouveaux régimes de retraite. En effet, il n’est pas permis de convertir un régime PD traditionnel existant en un RRFS. De plus, une scission ou une fusion ne peut avoir lieu entre un régime PD traditionnel et un RRFS.

4- Les articles 14.1 et 228.1 de la Loi RCR
Le 2 avril 2008, la Cour d’appel du Québec rendait sa décision dans l’affaire Multi-marques Distribution inc. c. Régie des rentes du Québec[4]. Multi-marques Distribution inc. (« Multi-marques ») était l’un des employeurs participant à un régime interentreprises de type à cotisations et prestations déterminées. Les dispositions de ce régime prévoient que la responsabilité de tout employeur participant se limite au versement de sa cotisation prévue dans la convention collective. Le régime prévoit également des dispositions particulières lorsqu’un employeur cesse d’y participer. Aux termes de ces dispositions, si l’actif afférent à un tel employeur est insuffisant pour acquitter intégralement les droits des participants visés par la terminaison, les droits des participants sont alors réduits en conséquence.

En 1996 et en 1997, Multi-marques a décidé de fermer deux de ses divisions. Puisque les cotisations versées jusqu’alors par Multi-marques n’étaient pas suffisantes pour acquitter entièrement les droits des employés visés par ces fermetures, les projets de rapports de terminaison partielle transmis à la Régie prévoyaient la réduction des droits des employés visés.

Le dépôt de ces projets de rapports a donné lieu à une longue et complexe saga judiciaire dont le point culminant a été la décision du 2 avril 2008 de la Cour d’appel. Dans cette décision, la Cour a conclu que les droits des employés visés étaient assujettis à une condition valide, soit que Multi-marques ait, au moment de la terminaison, suffisamment contribué au régime pour que leurs droits soient acquittés intégralement. Cette condition n’étant pas satisfaite, les droits des employés devaient être réduits en conséquence.

Cette décision de la Cour d’appel permettait donc que les droits des participants à un régime PD enregistré auprès de la Régie soient assujettis à une condition prévoyant que les sommes versées par l’employeur au moment de la terminaison doivent être suffisantes pour acquitter entièrement ces droits. Ainsi, en cas de terminaison du régime en situation de déficit, le manque d’actif nécessaire à l’acquittement des droits des participants n’aurait pas à être versé par l’employeur conformément à l’article 228 de la Loi RCR et les droits des participants seraient réduits proportionnellement.

L’impact potentiel de ce jugement a cependant été rapidement contrecarré par le législateur québécois. En effet, le Projet de loi no 68[5] sanctionné le 20 juin 2008 modifiait la Loi RCR afin, notamment, d’y ajouter les articles 14.1 et 228.1. Ces articles prévoient spécifiquement qu’aucune disposition d’un régime PD ne peut avoir pour effet : (i) de faire dépendre d’un facteur extrinsèque les droits des participants, de sorte qu’ils en soient limités ou réduits; (ii) de limiter ou réduire les obligations d’un employeur à l’égard du régime en raison de son retrait du régime ou de la terminaison de celui-ci. Ces deux nouvelles dispositions de la Loi RCR s’appliquent depuis le 1er janvier 1990.

5- Les modifications effectuées aux règles fiscales limitant les surplus pouvant être conservés dans un régime PD
Le projet de loi fédérale C-9 intitulé Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 4 mars 2010 et mettant en œuvre d’autres mesures a reçu la sanction royale le 12 juillet 2010. Parmi les nombreuses modifications législatives prévues à ce projet de loi, on retrouve certains amendements aux règles fiscales qui limitent le montant de surplus pouvant être conservé dans un régime PD. Ces amendements augmentent de 10 % à 25 % le seuil des surplus pouvant être ainsi conservé.

Cette augmentation de la limite fiscale permettra de constituer des provisions plus importantes qu’auparavant. Toutefois, compte tenu que ces amendements ne touchent aucunement la question de la propriété et de l’accès aux surplus par l’employeur, on peut penser que plusieurs employeurs continueront simplement à verser les cotisations minimales requises dans les caisses de retraite et ce, afin d’éviter la création de surplus qui pourraient éventuellement leur échapper.

La disparition des régimes PD?
Bien que plusieurs modifications aient été apportées à la Loi RCR et au Règlement RCR depuis 2005, aucune de celles-ci ne règle véritablement la problématique de l’asymétrie. Les régimes par financement salarial représentent une option potentiellement intéressante, mais limitée dans son domaine d’application.

La problématique de l’asymétrie finira-t-elle par provoquer la disparition des régimes PD traditionnels? Certains le pensent. Ceci dit, il ne faut pas oublier que divers régimes PD sont intégrés à une convention collective. Dans ces cas, toute décision de l’employeur visant à terminer le régime devra respecter non seulement les dispositions pertinentes de la Loi RCR, mais également celles de la convention collective.

Une chose est certaine cependant, peu de nouveaux régimes PD ont été établis au cours des dernières années et rien n’indique que nous assisterons prochainement à une recrudescence de ce type de régime de retraite, à moins que le législateur québécois n’intervienne afin de proposer de nouvelles solutions ou de nouvelles alternatives pour favoriser la mise sur pied de nouveaux régimes PD.


[1] Un employeur partie à un régime de retraite interentreprises ne peut se prévaloir des mesures permanentes relatives à l’utilisation de lettres de crédit.
[2] Ce type de régime de retraite est permis par le Règlement sur la soustraction de certaines catégories de régimes de retraite en application de dispositions de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite.
[3] Les règles fiscales prévoient qu’un tel régime doit être maintenu conformément à une convention collective, sauf si le ministre du Revenu national renonce à appliquer cette exigence.
[4] 2008 QCCA 597.
[5] L.Q. 2008, ch. 21.

Me François Parent, associé, est avocat spécialisé dans les régimes de retraite chez Lavery.

* Les opinions et idées exprimées dans cet article sont celles de l’auteur. Elles n’ont pas étés influencés par Avantages, Les éditions Rogers, le commanditaire ou tout autre annonceur associé à ce site.