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Imaginez un régime de retraite qui offre une prestation garantie aux participants et qui assure une cotisation fixe à l’employeur, tout en le dégageant du risque de financement. C’est ce que propose le régime de retraite par financement salarial (RRFS). Mais tient-il réellement ses promesses ?

Alors qu’il travaillait pour le Syndicat des Métallos (FTQ), au début des années 2000, Alain Poirier a été aux premières loges pour assister à l’érosion graduelle des régimes à prestations déterminées (PD). « La création de nouveaux régimes PD devenait de plus en plus rare et on commençait à se battre pour conserver ceux qu’on avait déjà. On devait trouver une façon de sauver les régimes qui offrent une prestation garantie », raconte-t-il.

Aujourd’hui président du comité du Régime de retraite par financement salarial de la FTQ (RRFS-FTQ), Alain Poirier parle en termes élogieux des RRFS, qui permettraient à la fois aux employés de bénéficier d’une rente garantie à vie et aux employeurs de se libérer du risque de financement des régimes PD traditionnels.

En quelques années seulement, la croissance du régime a été fulgurante. Alors qu’il comptait 300 participants lors de sa création en 2008, le RRFS-FTQ est aujourd’hui constitué de 8842 participants provenant de 151 groupes et 101 employeurs. « Dans le fond, avec ce type de régime, on finance les déficits tout de suite plutôt que d’attendre qu’ils surviennent », résume M. Poirier.

Un RRFS est un régime PD dont les risques de financement sont assumés collectivement par les participants, et non par l’employeur. Ainsi, les cotisations patronales sont fixes et ne fluctuent pas en fonction des déficits actuariels. Pour protéger les participants contre les risques, les RRFS, dont les mécanismes ont été élaborés par la Régie des rentes du Québec, adoptent une approche très prudente visant à rendre les déficits très rares, voire inexistants. Le concept d’indexation conditionnelle représente la pierre angulaire de cette stratégie.

Le principe est simple : fixer les cotisations à un niveau plus élevé que le montant requis pour verser les prestations et indexer ces dernières seulement lorsque le régime est en bonne santé financière. Dans les périodes où les marchés sont moins favorables, cette réserve permet d’absorber la volatilité et d’éviter que le régime ne tombe en déficit. Par exemple, le RRFS de la FTQ, tout comme celui des groupes communautaires et de femmes, doit maintenir un niveau de surplus d’au moins 10 % pour que les rentes des participants puissent être indexées. Dans les deux cas, toutes les années ont été indexées à ce jour, mais certaines l’ont été rétroactivement en fonction du niveau de réserve des régimes et de la conjoncture des marchés.

Des leçons tirées des erreurs du passé
Selon Michel Lizée, secrétaire et membre indépendant du comité du Régime de retraite des groupes communautaires et de femmes (RRFS-GCF), les RRFS ont été pensés pour corriger les failles des régimes PD traditionnels, aujourd’hui en grande difficulté. « Dans un RRFS, ce n’est plus la cotisation qui supporte le risque, mais la gestion du niveau de réserve nécessaire », explique-t-il.

Si la majorité des régimes PD se trouvent dans un état précaire, c’est selon M. Lizée parce que les employeurs ont toujours établi le niveau de cotisation au niveau du passif tout en prenant des congés de cotisation et en bonifiant les prestations lorsque tout allait bien, sans prendre la peine de constituer un coussin de sécurité pour traverser les périodes plus difficiles. « Le rendement d’une caisse de retraite typique a pourtant surpassé le rendement attendu il y a 20 ans, en incluant la crise de 2008. Imaginez un assureur qui opérerait en dépensant ses réserves quand ça va bien. Il ne resterait pas en affaires bien longtemps. C’est pourtant ce qu’on a fait dans les caisses de retraite », soutient-il.

Dans les RRFS, la notion de congé de cotisation n’existe pas et les bonifications autres que l’indexation ne sont possibles qu’en présence d’un niveau de réserve très élevé. « On ne veut pas un beau Pur Sang qui court vite, mais qui peut manquer d’air. On veut un chameau qui peut traverser le désert, même si le désert est plus grand qu’on pensait. Au 31 décembre 2012, la solvabilité de notre régime était de 104 %, ce qui n’est pas très élevé, mais on faisait quand même partie du 4 % des caisses en haut de 100 % », indique M. Lizée.

Mais ce concept de fonds d’indexation et de stabilisation pourrait-il permettre de solidifier un régime PD traditionnel ? « L’intérêt du modèle RRFS réside dans cette approche qui consiste à ne jamais s’approcher du bord de la falaise. Tous les régimes PD pourraient faire la même chose », affirme Michel Lizée.

Le beurre et l’argent du beurre
Pour l’employeur, l’avantage majeur du RRFS est la stabilité et la prévisibilité des coûts, affirme Pierre Bergeron, actuaire et associé chez PBI Conseillers en actuariat. « Le modèle traditionnel des régimes PD est de moins en moins courant, on l’a vu avec les modifications apportées par la loi 15 dans le secteur municipal. Dans un RRFS, il n’y a pratiquement pas de risque pour l’employeur. » Selon M. Bergeron, il n’est toutefois pas facile d’appliquer les mécanismes d’un RRFS au sein d’un régime PD traditionnel. « C’est possible, mais les régimes PD n’ont pas été bâtis selon les mêmes critères d’équité intergénérationnelle que les RRFS, où l’objectif est de protéger le pouvoir d’achat de tout le monde », mentionne-t-il.

Face aux régimes à cotisation déterminée (CD), les RRFS peuvent toutefois représenter une alternative à envisager sérieusement. « La performance du modèle des RRFS est clairement supérieure aux régimes CD. À ce jour, personne n’a été capable de nous démontrer le contraire », assure M. Bergeron, qui ajoute que les régimes PD génèrent un rendement au moins 50 % supérieur aux régimes CD. « Les régimes CD représentent la solution facile, mais c’est une vision à très court terme. »

Toujours selon l’actuaire, les employeurs tirent énormément d’avantages à maintenir des régimes PD en matière de gestion de main d’œuvre et laissent trop souvent tomber un puissant outil d’attraction et de rétention des talents.

« Notre politique à la FTQ est d’abord de maintenir les régimes PD en place, mais quand ce n’est pas possible, le RRFS est une très bonne option », note Alain Poirier. Car pour les employeurs, les RRFS, les régimes CD de même que les régimes à prestations cibles (PC) impliquent globalement les mêmes risques et responsabilités. « De mon expérience, les employeurs ne sont pas plus réticents à l’idée d’implanter un RRFS qu’un régime CD. Pourvu qu’ils se débarrassent du risque, ils sont contents », indique M. Poirier. ArcelorMittal a notamment accepté l’été dernier de créer un RRFS plutôt qu’un régime CD pour ses futurs employés.

Si Marco Dickner, conseiller principal et chef du secteur Retraite chez Towers Watson à Montréal qualifie « d’ingénieux » les mécanismes de gestion des risques et d’indexation des RRFS, il estime cependant que ce type de régime ne représente pas toujours la meilleure solution. « On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Ces régimes couvrent le risque de longévité et adoptent une approche de financement prudente, mais offrent des prestations de base plus basses que les régimes PD traditionnels. Les participants assument le risque d’investissement pour l’indexation », mentionne-t-il, en ajoutant que les RRFS sont également jeunes pour le moment et qu’il est difficile de prévoir comment ils se comporteront une fois arrivés à maturité.

Pour les jeunes employés, les futurs régimes CD qui offriront des options de placement et de décaissement « intelligentes » pourraient se révéler plus intéressants. « Les RRFS sont définitivement une bonne option de rechange aux régimes CD, mais la question est de savoir si les régimes PD, peu importe leur conception, représentent toujours la meilleure solution. C’est du cas par cas, il faut analyser chaque situation », explique-t-il. Par ailleurs, les RRFS libèrent les employeurs du risque de financement, mais pas forcément d’autres risques propres aux régimes PD, selon Marco Dickner.

Pour Pierre Bergeron, il est faux de dire que les RRFS ne payent pas assez de rentes. « C’est la façon de les payer qui est différente; il faut reconnaître que ce sont des régimes encore très mal compris », concède-t-il.

« Si on considère qu’un régime PD déficitaire est renfloué par l’employeur, on peut effectivement penser qu’un RRFS coûte plus cher aux participants. Mais on sait très bien qu’en général, les employeurs vont refiler ces coûts-là à leurs employés d’une autre manière dans leur rémunération globale », soutient pour sa part Alain Poirier.

Ce à quoi Marco Dickner répond que les employés bénéficiant de régimes PD ont été globalement gagnants malgré les déficits. « Ces entreprises-là ont tout de même dû maintenir leurs salaires à un niveau concurrentiel dans le marché. »

Quel avenir pour les RRFS ?
Seuls trois RRFS existent actuellement au Québec : le Régime de retraite des groupes communautaires et de femmes, le RRFS-FTQ et le régime de retraite de la mine Niobec, au Saguenay-Lac-Saint-Jean. S’ils représentent vraiment le meilleur des deux mondes, pourquoi ne sont-ils pas plus répandus ? « Les RRFS existent depuis 2007 et sont donc relativement récents. C’est encore nouveau pour les employeurs, il y a beaucoup d’éducation et de conscientisation à faire pour que les employeurs et les employés comprennent vraiment leur fonctionnement », pense Pierre Bergeron.

Marco Dickner ajoute que l’historique peu reluisant des régimes PD rend les employeurs craintifs face à ce type de régime, malgré sa conception totalement différente. D’autant plus que le modèle des RRFS exige probablement une philosophie différente de la part des employeurs, qui font souvent montre d’une certaine résistance face au changement. Deux des trois régimes en place à l’heure actuelle sont multi-employeurs, ce qui se traduit en des frais de gestion plus bas et un meilleur partage des risques. « Il y a une logique de regroupement et de collectivité derrière les RRFS, face à une mentalité beaucoup plus individualiste pour les régimes CD », indique Pierre Bergeron. Par ailleurs, comme les RRFS n’existent qu’au Québec, ils sont difficilement envisageables pour les entreprises qui opèrent dans plusieurs provinces.

Le concept des RRFS fait malgré tout tranquillement son chemin dans la tête des décideurs. Pierre Bergeron affirme travailler actuellement sur cinq à dix projets potentiels. Le projet de régime de retraite de la Fédération des policiers municipaux du Québec devrait prendre par exemple la forme d’un RRFS. La Fraternité des policiers de Châteauguay a également annoncé récemment vouloir créer son propre RRFS et ainsi se soustraire à la loi 15.

« Je suis persuadé qu’un jour il y aura plus d’actifs dans le RRFS-FTQ que dans le Fonds de solidarité », n’hésite pas à dire Alain Poirier. Pour lui, les RRFS ne sont rien de moins qu’un puissant outil pour sauver les régimes PD menacés d’extinction. « La disparition des régimes PD est une catastrophe pour l’avenir des individus, de la société et de l’économie. »

« Si tout le monde avait seulement des REER, on n’irait pas loin en matière d’investissement. Les régimes PD servent l’ensemble de l’économie, pas seulement les bénéficiaires. Dans ce contexte, les RRFS sont certainement une voie d’avenir », renchérit Pierre Bergeron.

Selon Michel Lizée, les employés seraient de leur côté sans doute prêts à envisager une hausse de cotisation de 3 ou 4 % pour s’assurer de la viabilité de leur régime. Parce que le plus grand défi des RRFS sera peut-être bien de rebâtir la confiance dans les régimes à prestations déterminées, aussi bien chez les employeurs que les employés.

Cet article est tiré de l’édition de juin 2015 de la revue Avantages.

À lire : Fraternité des policiers de Châteauguay : un RRFS pour contourner la loi 15?