Depuis plusieurs années, les données d’ensemble se rapportant aux régimes à prestations déterminées sont à la baisse. Qu’il s’agisse de rendements des marchés boursiers ou de taux d’intérêt, force est de constater que ceux-ci ne sont plus ce qu’ils étaient. L’un des éléments qui va dans la direction opposée est l’espérance de vie des participants. En effet, les Québécois vivent de plus en plus longtemps.

Pour la population, il s’agit d’une bonne nouvelle, mais pour les promoteurs de régimes la longévité est un autre risque qui s’ajoute à un contexte déjà difficile. Les régimes canadiens accusent un certain retard en matière de gestion du risque de longévité, surtout en comparaison avec leurs homologues européens. Mais, l’intérêt se manifeste et plusieurs options sont offertes aux promoteurs pour contrer ce risque.

« Contrairement à d’autres risques, comme celui sur les taux d’intérêt, les actions ou l’inflation où la volatilité peut rapidement avoir des répercussions pour le financement d’un régime de retraite, le risque de longévité prendra un certain nombre d’années avant de se concrétiser et d’en ressentir les effets, explique Claude Lockhead, associé principal, pratique Conseils en gestion de placements et responsable de la pratique retraite pour l’Est du Canada à Aon Hewitt. Les promoteurs ont tendance à se concentrer prioritairement sur ces trois premiers risques, car ils peuvent rapidement avoir une incidence sur la situation financière du régime. »

Le fait que les effets de la longévité sont plus étalés dans le temps était certes l’une des principales raisons pour lesquelles les promoteurs voyaient ce risque comme étant moins important. Qu’on s’y penche maintenant a à voir avec l’acquisition d’une certain expérience dans la gestion d’autres risques et la longévité est la suite logique. De même, on ne peut sous-estimer le risque de longévité. Les marchés boursiers et rendements obligataires fluctuent dans le temps : après des rendements négatifs, on s’attend un jour à des rendements positifs. Ce n’est pas le cas de la longévité. « On n’a pas de renversement de tendance comme avec les autres risques, estime Yves Allard, directeur du développement des affaires, solutions PD à la Financière Sun Life. Bien qu’il n’y ait pas de garantie, rien ne nous permet de croire que, dans un avenir rapproché, la longévité cessera d’augmenter. » Les chiffres de l’Institut de la statistique du Québec en témoignent (voir graphique ci-dessous). Selon une hypothèse moyenne, l’espérance de vie d’une Québécoise à l’âge de 65 ans passera de 22 ans aujourd’hui à 26 ans en 2056. Un Québécois moyen, quant à lui, vivra environ quatre ans de plus en 2056.

Sous-estimation d’environ deux ans

L’augmentation de l’espérance de vie est souvent sous-estimée à cause des tables de mortalité utilisées par les régimes. Une nouvelle table devrait entrer en vigueur sous peu. « La mise à jour des taux de mortalité aura une incidence significative sur les coûts des régimes, qui devrait augmenter de l’ordre de 3 à 8 % », affirme Patrick De Roy, associé et chef de la pratique nationale en gestion des risques chez Morneau Shepell.

Nonobstant les variations en fonction de l’âge ou du sexe de la personne, la sous-estimation est d’environ deux ans pour un régime typique au Canada, poursuit M. Allard. « Si un régime investissait 40 à 50 % en actions, une baisse sur les marchés voudrait dire un coût de 6 à 7 % pour le régime, explique-t-il. C’est similaire au coût qui va résulter des nouvelles tables de mortalité quand elles vont être publiées. Ce n’est pas négligeable et représente un coût qu’il faut prendre en compte. »

Créer ses propres tables de mortalité

Si les erreurs sont introduites dans les calculs des régimes en raison des tables de mortalité, il est logique de s’interroger sur la possibilité de recueillir ses propres données. Malheureusement, il s’agit d’une option hors de la portée d’une majorité de régimes, car il faut posséder un nombre important de retraités et d’actifs pour arriver à des résultats fiables.

« Le principe selon lequel les hauts salariés d’une compagnie et les gens qui travaillent dans une mine vivent des réalités bien différentes permettrait éventuellement de mesurer le risque de longévité au sein d’une industrie, mais il est vraiment difficile de mesurer celui d’une caisse de retraite en particulier », estime Jean-François Paquin, vice-président adjoint, solutions à taux garanti à la Standard Life. Même s’il était possible d’établir des indices pour un secteur quelconque, un régime de moins grande taille pourrait s’exposer à de grandes pertes financières si un groupe de retraités surpassait les prédictions de mortalité de plusieurs années. « Le véritable risque quant à la longévité réside dans la divergence à long terme de la mortalité estimée du groupe, puisque la divergence à court terme est souvent peu considérable dans le financement du régime, constate M. Lockhead. Encore une fois, l’effet sur les régimes de moindre envergure peut être plus important, voire majeur. »

Malgré la grande difficulté d’établir ses propres tables de mortalité, il est clair que les promoteurs de régimes doivent faire face au risque de longévité. Le Royaume-Uni fait figure de pionnier en la matière. Deux stratégies qui s’y sont bien implantées gagnent en popularité sur la scène canadienne : l’assurance longévité et l’achat de rentes.

Assurance longévité

L’assurance longévité a fait son entrée sur le marché canadien à la fin de 2011, lancée par la Sun Life. Cette assurance vise à répondre au besoin des promoteurs de régime de se protéger des coûts supplémentaires pouvant découler d’une augmentation imprévue de l’espérance de vie des participants à un régime. C’est en effet l’assureur qui paie les coûts additionnels si l’employé vit plus longtemps, la sous-estimation des régimes étant déjà prise en considération.

« L’assurance longévité permet au promoteur de se prémunir, non pas contre le changement de la table de mortalité, mais plutôt contre les coûts qui pourraient survenir en cas d’améliorations non prévues, par exemple si on guérissait le cancer ou autres maladies sévères », explique M. Allard.

L’assurance longévité s’adresse surtout aux régimes qui décident de gérer eux-mêmes les risques de placement et de taux d’intérêt – selon le modèle en vigueur au Royaume-Uni – ce qui pourrait peut-être réduire l’engouement auprès des régimes canadiens. « Ce sera surtout les caisses les plus sophistiquées qui seraient intéressées par l’assurance longévité car elles ont les moyens de se départir seulement du risque de longévité sous forme de swap de longévité, estime M. De Roy. Pourquoi une caisse de retraite moyenne ne se départirait-elle pas des autres risques aussi ? »

L’assurance longévité devrait néanmoins devenir de plus en plus accessible au cours des prochaines années. « Ça semble logique pour les employeurs qui ont décidé de maintenir leur régime de retraite, lequel peut-être fermé aux nouveaux employés, mais que le promoteur va quand même garder à long terme, affirme M. Allard. Un employeur ayant déjà décidé de fermer son régime, ou qui a l’intention de le fermer dans les prochaines années, serait probablement davantage intéressé par l’achat de rentes. »

Achat de rentes

Ce dernier est, en quelque sorte, un produit traditionnel qui est revenu à la mode. « C’est un produit qui est fort utile pour réduire le volume d’une caisse de retraite, en se défaisant un peu du passif qu’elle a pris envers les participants par l’achat d’une rente à un assureur, constate M. Paquin. Il s’agit d’un outil privilégié pour couvrir les trois risques de placements, de taux d’intérêt et de longévité. » La forme traditionnelle de l’achat de rentes « avec rachat des engagements », souvent connu sous le terme anglais buy-out, consiste à payer une prime à l’assureur qui s’occupe de payer les rentes directement aux retraités. De son côté, un achat de rentes « sans rachat des engagements » – un buy-in – est considéré plutôt comme un placement de la caisse. Chaque mois, l’assureur paie un montant global à la caisse qui se charge de payer les retraités.

L’achat de rentes sans rachat des engagements s’avère particulièrement intéressant en cours de terminaison de régime, lequel peut être très long. « Entre le dépôt du rapport et le moment où les sommes sont versées aux participants, les caisses essaient d’éviter les risques pour que la situation ne se détériore pas par rapport à ce qui est illustré dans le rapport de terminaison, explique M. Allard. Le buy-in permet de fixer définitivement le coût de l’achat des rentes des retraités au début du processus. L’actuaire peut noter dans son rapport de terminaison un passif de retraités égal à la prime qui a été versée à l’assureur et les rentes vont être payées par le buy-in. » Lorsque la terminaison est réglée, le buy-in peut être converti automatiquement en buy-out et l’assureur va arrêter de payer la rente au régime et la verser directement aux retraités.

L’achat de rentes peut aussi offrir des possibilités de placements auxquels les caisses n’ont pas accès autrement. En effet, de grandes transactions de rentes – notamment l’exemple de GM aux États-Unis – ont créé de l’engouement auprès d’autres promoteurs, car elles ont généré des rendements intéressants.

M. Allard constate que certaines caisses hésitent à acheter des rentes en raison des faibles taux d’intérêt. « Des régimes ont néanmoins beaucoup investi dans les titres à revenu fixe et les obligations. S’ils attendent que les taux d’intérêt montent, les rentes vont couter moins cher, mais les régimes auront moins d’argent pour en acheter, dit-il. En fonction d’une stratégie d’investissements guidée par le passif, un régime pourrait éventuellement vendre des actions pour acheter des obligations. Une partie des obligations pourrait servir à acheter des rentes. »

Comme toute transaction, l’achat de rentes comporte son lot de conséquences administratives, financières et comptables. Mais, des primes pour la compagnie sont en effet concevables. « Rendu au point d’acheter de rentes à un seuil de placements à revenu fixe, la décision financière consiste à se demander si je veux vraiment me sortir des actions et titres de croissance pour acheter des rentes auprès de la compagnie d’assurance, affirme M. De Roy. Ça devient un coût économique qui dépend des objectifs : est-ce que je veux me débarrasser de tous les risques et, à ce moment-là, même si cela coûte quelque chose, ça peut valoir la peine. »

Une autre façon pour l’employeur d’aborder le risque de longévité serait la mise en place d’un régime à cotisation déterminée (CD), car dans un régime CD les participants assument davantage de responsabilité pour l’accumulation des fonds de retraite. La hausse de l’âge de la retraite fait également partie des discussions sur la pérennité des régimes dans le contexte d’une population vieillissante afin de ramener la solvabilité des régimes à des niveaux acceptables.

Toutefois, pour l’instant, l’assurance longévité et l’achat de rentes semblent les stratégies privilégiées par les sociétés visant à gérer le risque de longévité. M. De Roy observe qu’on « ne peut pas s’en départir. On ne peut que le transférer à quelqu’un de différentes manières. » Chose certaine, les régimes de retraite ont intérêt à contrer le problème afin de trouver dès maintenant la solution qui leur convient à long terme.