Les promoteurs de régimes de retraite à prestations déterminées ont de bonnes raisons d’être plus inquiets que jamais ces jours-ci. La plupart de leurs régimes souffrent d’un décalage de duration ou d’un écart de financement les condamnant à l’épuisement de leur actif avant celui de leur passif. Les promoteurs ne savent pas trop comment régler ce problème de sous-capitalisation, surtout que les taux d’intérêt semblent sur le point de remonter de leurs creux historiques. Ils pourraient tenter de combler l’écart au moyen d’une stratégie de placement adossée au passif qui prolongerait la durée de leurs portefeuilles de titres à revenu fixe. Mais ils craignent que la hausse des taux d’intérêt ne fasse dérailler une telle stratégie en amputant les rendements et que le décalage de duration demeure intact. Ils jugent donc qu’il vaut mieux attendre que les taux d’intérêt aient fini d’augmenter avant de prolonger la durée de leurs placements. Tant que les taux seront à la hausse, une stratégie obligataire de base où les échéances moyennes dépassent à peine quatre ans sera plus rentable qu’une autre stratégie où les échéances dépasseraient 13 ans.

Ce raisonnement pèche peut-être par excès de prudence. Selon nos études, la hausse des taux d’intérêt contribuera au financement des caisses de retraite, quelle que soit la durée du portefeuille de titres à revenu fixe. Toutefois, si les taux d’intérêt ne se comportent pas comme prévu, la prolongation des échéances des titres à revenu fixe pourrait soutenir le financement des régimes. Si les taux d’intérêt continuent d’osciller dans une fourchette étroite pendant encore plusieurs années, notre analyse révèle qu’une stratégie favorisant une plus longue durée sera plus rentable qu’une stratégie obligataire de base et qu’elle permettra de mieux s’apparier au passif. En cas de déflation et de baisse des taux d’intérêt à long terme, une stratégie fondée sur une plus longue durée permettra d’alléger l’inévitable pression vers le bas exercée sur le financement de la caisse de retraite.

En bref, les promoteurs de régime doivent se résigner à un compromis crucial. S’ils prolongent maintenant la durée de leurs portefeuilles à revenu fixe et que les taux d’intérêt augmentent, ils se priveront peut-être de gains futurs dans le financement de leur régime. Par contre, si les taux font du surplace ou s’ils redescendent, le fait de prolonger les échéances de leurs titres à revenu fixe limitera toute baisse possible sur le plan du financement.

Hausse des taux d’intérêt demandée
On ne peut s’étonner que les promoteurs misent sur une hausse des taux d’intérêt, puisque ceux-ci se situent à des creux historiques. Sur tous les points de la courbe, les taux d’intérêt sont bien en dessous de leurs moyennes des 34 dernières années et la pente de cette courbe n’a jamais été plus accentuée. Si l’on s’en tient aux dix dernières années, les taux d’intérêt semblent quand même bas et la courbe est beaucoup plus abrupte qu’elle l’a été pendant la plus grande partie de cette période.

Le cadre historique n’est toutefois qu’un des facteurs influant sur une stratégie de placement. Pour y voir plus clair dans la situation des portefeuilles à revenu fixe, nous avons opté pour une analyse de scénarios approfondie qui permettrait d’évaluer l’incidence de diverses stratégies sur la situation financière d’un régime de retraite à prestations déterminées. On définit ici la situation financière en termes de coefficient de capitalisation, soit la valeur monétaire de l’actif d’un fonds divisée par la valeur monétaire de son passif.

Trois facteurs clés à considérer
Nous avons adopté la prémisse voulant que trois facteurs puissent faire varier l’incidence des fluctuations des taux d’intérêt sur le coefficient de capitalisation d’un régime de retraite. Le premier de ces facteurs est le pourcentage de l’actif placé en titres à revenu fixe, le deuxième a trait à la durée de ces placements à revenu fixe et le troisième est la durée du passif du régime.

Nous avons ensuite défini un scénario de base où le coefficient de capitalisation de la caisse de retraite serait de 85 % au départ, le pourcentage des titres à revenu fixe de 40 % (contre 60 % pour celui des actions) et la durée du passif de 14 ans. Nous avons appliqué à ce modèle trois stratégies différentes de gestion de la durée des titres à revenu fixe : stratégie obligataire de base (échéance de 4,3 ans), longue durée (13,2 ans) et durée prolongée (échéance de 21,6 ans), et quatre scénarios relatifs aux taux d’intérêt. Le premier correspond à une hausse des taux d’intérêt sur tous les points de la courbe; le deuxième à un «aplanissement baissier» où les taux d’intérêt augmentent, mais où les taux intermédiaires augmentent davantage que les taux à long terme; le troisième suppose que les taux demeurent faibles pendant une longue période et le quatrième correspond à un «aplanissement haussier», où les taux d’intérêt à court terme demeurent stables, tandis que les taux à long terme diminuent.

Dans le scénario de hausse généralisée des taux d’intérêt, le coefficient de capitalisation du régime augmente quelle que soit la stratégie de gestion de la durée employée. En effet, lorsque les taux d’intérêt augmentent, la diminution en pourcentage de la valeur de l’actif du régime est moins prononcée que celle de la valeur du passif. Ce phénomène s’explique par le fait que la durée moyenne pondérée de l’actif est moindre que la durée du passif. Les promoteurs de régime qui redoutent une hausse des taux d’intérêt seront donc rassurés d’apprendre que leur coefficient de capitalisation se redressera quelle que soit leur stratégie de gestion de la durée des titres à revenu fixe.

Le scénario d’aplanissement baissier, où les taux intermédiaires augmentent davantage que les taux à long terme, produit un résultat similaire. Le coefficient de capitalisation s’améliore quelle que soit la stratégie de gestion de la durée, même si la stratégie de base entraîne une baisse plus marquée des rendements des titres à revenu fixe, surtout parce que les taux intermédiaires y occupent une place plus prépondérante.

Si les taux font du surplace et ne s’éloignent guère de leurs niveaux actuels pendant une longue période (et si la reprise économique demeure léthargique et peu inflationniste), le coefficient de capitalisation se détériorera légèrement quelle que soit la stratégie de gestion de la durée utilisée, mais la stratégie de base sera un peu plus défavorable. On remarque par ailleurs que les rendements annuels selon les différentes stratégies demeurent généralement comparables aux rendements actuels.

Dans notre dernier scénario, celui de l’aplanissement haussier où les taux à long terme diminuent, le coefficient de capitalisation se détériore quelle que soit la stratégie utilisée, mais les résultats sont moins désastreux si l’on a opté pour la stratégie de durée prolongée. La stratégie obligataire de base permet une légère amélioration des rendements de la caisse, mais ces gains sont nettement plus prononcés dans le cas de la stratégie de durée prolongée.

Les répercussions possibles
Les promoteurs de régime n’envisagent peut-être pas d’autres baisses des taux d’intérêt, mais les taux à long terme sont moins bas que les taux à moyen terme et pourraient donc baisser davantage. Si cela se produisait, le financement des régimes serait affecté, surtout s’ils ont recours à une stratégie obligataire de base. En outre, si les taux d’intérêt chutent et que les marchés boursiers font de même, le financement sera gravement atteint et il faudra hausser les cotisations ou réduire les prestations. Dans de telles circonstances, les promoteurs semblent avoir tout intérêt à prolonger la durée de leurs portefeuilles de placements à revenu fixe.

Michael Senoski est directeur des placements, SPAP, tandis que Daniel Tremblay et Gene Morrison sont gestionnaires de portefeuilles institutionnels, tous au sein de Pyramis Global Advisors.