Peu de croissance et une inflation qui ne parvient pas à passer sous le seuil des 2 % aux États-Unis, voilà à quoi doivent s’attendre les investisseurs pour la prochaine année. Les politiques économiques et budgétaires imprévisibles de Donald Trump pourraient toutefois brouiller les cartes.
Lors d’un événement de CFA Montréal la semaine dernière, l’économiste en chef de la Banque Royale, Frances Donald a partagé des prévisions plutôt mitigées pour l’économie américaine. « Nous n’entrevoyons pas de récession, mais pas une grosse croissance non plus », a-t-elle affirmé.
RBC anticipe une croissance du PIB de 1,9 % aux États-Unis pour 2025, et une croissance de l’indice des prix à la consommation de 2,3 %. « Dans un tel contexte, nous estimons que la Réserve fédérale n’arrivera pas à justifier une seule baisse de taux en 2025 », soutient Frances Donald, en ajoutant qu’il est devenu difficile de déterminer quels éléments la Fed prend le plus en considération pour prendre ses décisions de politique monétaire. « Va-t-elle davantage voir dans les politiques de Trump une hausse de l’inflation, qui justifie le statu quo, ou alors une faible croissance, qui pourrait militer pour une baisse de taux? »
Le taux de chômage devrait pour sa part enregistrer une légère hausse, passant de 4,0 % en 2024 à 4,3 % en 2025, ce qui ne constituera pas un « gros problème », selon l’économiste en chef.
Frances Donald fait néanmoins une précision importante : ces prévisions ne tiennent pas compte des politiques de Trump, parce que bon nombre de celles-ci demeurent encore aujourd’hui incertaines, voire inconnues. Elle concède que ces politiques ont le potentiel de créer « un gros choc sur l’inflation et l’économie au cours des prochaines années ».
Des tendances inquiétantes camouflées dans les données
Derrière la croissance anticipée de près de 2 % du PIB américain se cache une grande disparité entre les ménages. La croissance des dépenses est en effet beaucoup plus importante chez les ménages à revenus élevés, alors qu’à peine 20 % des consommateurs dépensent de 40 à 60 % de l’argent disponible aux États-Unis. Cet écart ne fait que s’accentuer depuis la pandémie, selon les données de RBC.
Les prévisions de croissance économique masquent également une disparité importante entre le secteur des services, qui se porte bien, et le secteur manufacturier, en contraction depuis plus de deux ans.
Or, les économistes considèrent que la performance du secteur de la fabrication est un indicateur avancé de l’activité économique. La divergence grandissante entre le secteur manufacturier et le secteur des services a en quelque sorte « brisé » les modèles économiques traditionnels, juge Frances Donald. Cet accent mis sur le secteur manufacturier en difficulté envoyait le signal que l’économie américaine allait entrer en récession. Cela ne s’est pas produit, notamment en raison de la vigueur du secteur des services.
L’économiste constate en outre que la Fed a largement perdu de son influence sur l’économie et les marchés financiers au cours des dernières années. « Malgré une baisse des taux à court terme, le milieu et l’extrémité de la courbe ne bougent pas », explique-t-elle. Concrètement, cela signifie que les taux hypothécaires ne baissent pas vraiment, même si les ventes de maison au sud de la frontière sont à leur niveau le plus faible depuis 2008. Les entreprises, majoritairement endettées « sur le milieu de la courbe », sont quant à elles peu soulagées par la baisse du taux directeur de la Fed. « Le budget de l’administration américaine va donc avoir plus d’impact que la politique monétaire », soutient Frances Donald.
Il manque de travailleurs, pas d’emplois
Alors que Donald Trump a déjà commencé à mettre en œuvre son plan d’expulsions de migrants, l’économiste en chef de RBC estime que les politiques sur l’immigration de Trump seront fortement inflationnistes pour les consommateurs américains, encore plus que celles portant sur les tarifs douaniers. « Les États-Unis n’ont pas besoin d’emplois, ils ont besoin de travailleurs », a lancé Frances Donald.
Comme dans la plupart des pays développés, le vieillissement rapide de la population aux États-Unis exacerbe la problématique de pénurie de main-d’œuvre. « Il n’y a jamais eu autant de retraités dans l’histoire américaine : 40 % des Américains ne travaillent pas, mentionne Mme Donald. Et ce n’est pas parce qu’il y a de jeunes adultes qui se tournent les pouces assis sur le divan de leurs parents. Le taux d’emploi chez les 25-54 ans est près d’un sommet historique. » Dans cette conjoncture, elle estime que l’intelligence artificielle ne va pas entraîner la perte d’emplois, mais plutôt amoindrir la pénurie de main-d’œuvre.
Compenser d’éventuels tarifs douaniers
Alors que le Canada attend toujours que Donald Trump dévoile ses véritables intentions concernant la potentielle imposition de tarifs douaniers, une voie de sortie pourrait permettre au pays d’en amoindrir les effets, croit Sébastien Mc Mahon, stratège en chef et économiste sénior à iA Gestion mondiale d’actifs.
« L’imposition de tarifs de 25 % sur tous les produits exportés aux États-Unis pourrait entraîner une baisse de 3 % du PIB au Canada, selon le Fonds monétaire international. Or, si on retirait les barrières au commerce interprovincial au Canada, on pourrait faire croître notre PIB de 4 %. En réalité, c’est comme si on s’imposait des tarifs de 21 %. Avec du leadership politique, c’est un problème qu’on pourrait régler facilement. »