Table ronde sur la santé des femmes

Longtemps négligée dans les régimes d’avantages sociaux, la santé des femmes fait aujourd’hui l’objet d’une attention plus marquée chez les employeurs soucieux de rendre leurs milieux de travail plus équitables et inclusifs. L’implantation d’initiatives visant exactement cet aspect en est toutefois à ses balbutiements, si l’on se fie aux discussions qui ont eu lieu lors de la table ronde organisée sur le sujet par Avantages en juin dernier.

« La santé des femmes est un sujet très en vogue actuellement et nous en sommes encore au stade exploratoire, explique Samuel Agostini- Cayer, gestionnaire principal, avantages sociaux chez Bell. Nous sommes à l’étape de regarder ce qui existe et ce que l’on pourrait mettre en place. On essaie toujours d’être innovateurs dans nos avantages sociaux, on reste à l’affût. On adopte la technique des petits pas en améliorant notre régime à chaque année. »

L’entreprise, qui compte 45 000 employés, dont environ 40 % de femmes, a par exemple déployé de nouvelles couvertures liées à la fertilité, à l’adoption et aux mères porteuses au cours des dernières années.

«Cathy PerronLes femmes utilisent davantage les soins de santé, ne serait-ce qu’en raison de la contraception et de la maternité. Les coûts assumés par les femmes pour les soins de santé sont donc plus élevés. Mais les femmes, en moyenne, ont des revenus plus faibles que les hommes. Comment nos régimes peuvent-ils gérer cet enjeu-là ? »

 – Cathy Perron, Aon

« Je ne sens pas que le momentum est encore tout à fait là lorsqu’il est question de santé des femmes, bien que nos groupes de ressources pour employés voués aux femmes fassent des webinaires concernant le stress et la ménopause, renchérit Amélie Dufour- Clouthier, directrice, rémunération globale et avantages sociaux à CAE. Aux États- Unis, il y a un peu plus d’éléments dans nos programmes, car les tendances sont un peu plus avancées là- bas. »

En 2022, l’entreprise a néanmoins lancé de nouveaux programmes pour les congés de maternité, les congés parentaux et l’adoption. Les congés de maternité sont par exemple payés à 100 % pendant six mois au Canada.

La réflexion est plus avancée à Organon, une société pharmaceutique formée à la suite de la scission de Merck qui se spécialise notamment dans la santé des femmes. « Nous avons lancé le programme SA trajectoire professionnelle, qui consiste à analyser le cheminement de vie et de carrière d’une femme et à trouver des façons de mieux la soutenir, explique Litsa Spiridonakos, directrice des ressources humaines à Organon Canada. On s’est demandé quelles étaient les principales lacunes dans la vie professionnelle d’une femme et quels services pourraient leur être offerts à l’extérieur de la couverture d’assurance pour les corriger. Nous avons notamment développé des guides à l’intention des gestionnaires portant sur la ménopause, la fertilité ou encore les fausses couches. Un programme d’alliées a aussi été mis en place. Il s’agit d’un genre de programme de pairs aidants dans lequel des personnes ayant déjà traversé certaines situations sont jumelées avec d’autres qui ont besoin d’avoir quelqu’un à qui parler. »

La salle de repos a également été réaménagée pour mieux accommoder les femmes en ménopause, notamment grâce à la présence de ventilateurs. Certaines couvertures liées à la santé mentale ont aussi été bonifiées.

Valérie Legendre, directrice, solutions en santé mentale à la Sun Life, estime pour sa part qu’il y a d’abord un important travail d’éducation à faire pour briser les tabous sur la santé des femmes. « Il faut former les employés et les gestionnaires pour favoriser les conversations bienveillantes. Les femmes sont engagées tant dans la communauté qu’auprès de leur famille. On doit mieux les accompagner dans leurs trajectoires de vie. Offrir plus d’informations leur permettra d’être mieux préparées et ainsi de cibler davantage les soins dont elles ont besoin. Augmenter la couverture pour les soins psychologiques et promouvoir les soins virtuels sont d’autres façons de soutenir les femmes. »

Valérie Legendre cite également l’importance d’offrir des accommodements liés à la période de la périménopause et de la ménopause. « On sait qu’une femme sur dix quittera le marché du travail en raison des symptômes de la ménopause, déplore- t-elle. On perd une expertise incroyable et on renforce l’idée que la ménopause est un fardeau que les femmes doivent endurer au détriment de leur santé physique, mentale et financière. Les femmes arrivent souvent au sommet de leur carrière à cette période de transition de leur santé hormonale : collectivement, on doit s’engager à les soutenir plutôt que de les isoler. »

Si, d’un côté, il y a des organisations pour lesquelles l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) n’est même pas une préoccupation, et que de l’autre, certains employeurs se montrent particulièrement innovants, la plupart des promoteurs de régime sont encore au stade de la réflexion, remarque Cathy Perron, vice- présidente principale et codirectrice de la pratique nationale des solutions pour la santé chez Aon. « Certaines organisations abordent certains enjeux à la pièce, mais je n’en ai pas encore vu bouger fortement sur la question de la santé des femmes.

Le problème avec les stratégies à la pièce, c’est que les employés qui ne sont pas concernés par les initiatives ciblées vont demander : « Et moi, que faites- vous pour mon problème » ? » L’experte juge donc qu’il est préférable d’adopter une stratégie à plus haut niveau, avec une vision plus globale de l’EDI. « Cela implique une révision des programmes et des politiques, un processus qui peut prendre plusieurs années. »

«Amélie Dufour ClouthierJe ne sens pas que le momentum est encore tout à fait là lorsqu’il est question de santé des femmes. Aux États-Unis, il y a un peu plus d’éléments dans nos programmes, car les tendances sont un peu plus avancées là-bas. »

 – Amélie Dufour-Clouthier, CAE

Une stratégie globale plutôt que spécifique

Si les femmes ont certains problèmes et besoins spécifiques en matière de soins de santé et de mieux- être, il peut être difficile pour les promoteurs de régime de personnaliser les couvertures offertes en fonction du genre. Mais certaines mesures destinées à tous les participants peuvent tout de même avoir des effets particulièrement bénéfiques pour les travailleuses.

« On ne regarde pas nécessairement les données de réclamations en fonction du sexe des participants, souligne Samuel Agostini-Cayer. Par contre, on sait que certaines couvertures viennent beaucoup en soutien aux femmes, et il ne faut pas oublier que plusieurs de nos employé(e)s ont aussi des conjointes. On a par exemple ajouté cette année une couverture pour les traitements de fertilité ainsi que le remboursement des psychoéducateurs à notre couverture illimitée en santé mentale qui sont des avantages accessibles à tous. De plus, nos soins de santé virtuels ne sont pas uniquement accessibles à nos employés, mais aussi aux personnes à charge. »

Il ajoute qu’un autre moyen de soutenir les femmes est d’offrir la couverture d’avantages sociaux aux employés à temps partiel, elles qui sont davantage représentées dans ce type de postes.

« Nous avons très peu de temps partiel chez nous, mais on devrait peut- être en offrir davantage, se questionne Amélie Dufour- Clouthier. Ça pourrait être intéressant pour des femmes qui souhaiteraient revenir d’un congé de maternité à trois ou quatre jours par semaine, ou encore des employés en fin de carrière qui aimeraient une transition en douceur vers la retraite. »

L’accès à de meilleures données dans les régimes d’avantages sociaux permettrait d’élaborer des programmes plus adaptés aux besoins des femmes. Mais l’industrie n’est pas encore arrivée à ce point, juge Cathy Perron.

« La première barrière à traverser, c’est d’obtenir des données pertinentes de nos régimes. Il faut aller vers là. Ce qu’on sait, c’est qu’à la base, les femmes utilisent davantage les soins de santé, ne serait- ce qu’en raison de la contraception et de la maternité. Les coûts assumés par les femmes pour les soins de santé sont donc plus élevés. Mais les femmes, en moyenne, ont des revenus plus faibles que les hommes. Comment nos régimes peuvent- ils gérer cet enjeu- là ? »

« La solution passe davantage par l’équité salariale, à mon avis, répond Samuel Agostini- Cayer. L’intention n’est pas de différencier notre régime d’assurance collective selon le sexe du participant. »

« En effet, on doit viser l’équité dans son ensemble. On ne veut pas modifier le régime en fonction du sexe, poursuit Cathy Perron. On doit tout de même connaître la proportion de femmes dans le régime, le taux d’utilisation des différents soins, faire de la sensibilisation et des efforts de communication. C’est un travail de longue haleine qui nécessite également l’aval de la haute direction, ce qui n’est pas toujours facile. »

«Valérie LegendreOn sait qu’une femme sur dix quittera le marché du travail en raison des symptômes de la ménopause. On perd une expertise incroyable et on renforce l’idée que la ménopause est un fardeau que les femmes doivent endurer au détriment de leur santé physique, mentale et financière. »

 – Valérie Legendre, Sun Life

Aider les femmes à aider

Encore en 2024, les femmes sont plus susceptibles que les hommes de passer de nombreuses heures chaque semaine à prendre soin de leurs proches, qu’il s’agisse d’enfants, de parents vieillissants ou d’autres membres de leur entourage. Comment les employeurs peuvent- ils aider leurs employées touchées à préserver leur santé mentale dans un tel contexte ?

Pour alléger le fardeau des proches aidantes, Organon mise sur la communication et l’éducation. « En plus des groupes de pairs aidants, nous nous assurons que notre personnel sait où trouver les bonnes ressources de soutien. Nous avons aussi mis en place un compte de dépense qui permet aux employés de se faire rembourser certains frais liés par exemple aux soins d’un aîné, comme les déplacements, les services d’infirmière à domicile ou encore des services de plats prêts à manger. »

« De notre côté, le soutien est beaucoup axé sur la flexibilité, par exemple dans l’horaire de travail ou dans le retour au travail. Les employés ont la possibilité de prendre un congé sabbatique sans rémunération s’ils veulent réaliser un projet de vie ou bien prendre soin d’un membre de leur famille », souligne Amélie Dufour- Clouthier.

Dans ses régimes d’avantages sociaux américains, CAE offre un programme de navigation dans le système de santé. « C’est un genre de service de conciergerie qui aide les participants à trouver différentes ressources, par exemple pour les parents âgés ou pour des services d’accompagnement dans le cas d’un traitement de cancer », précise- t-elle.

« La flexibilité est effectivement importante, affirme Valérie Legendre. Les gens ne savent pas vers qui se tourner pour obtenir de l’aide. On doit valoriser l’entraide et la collaboration dans les équipes, devenir une organisation bienveillante. C’est aussi important de faire connaître les ressources mises à la disposition par l’organisation ainsi que celles offertes dans la communauté. »

Quant au télétravail, symbole ultime de la flexibilité des milieux de travail modernes, il doit être adéquatement encadré pour ne pas devenir nuisible, en particulier pour les femmes.

« On sous- estime beaucoup les responsabilités familiales et professionnelles qui incombent aux femmes en mode de travail hybride », prévient Cathy Perron.

« Le télétravail a en quelque sorte poussé les femmes à prendre davantage de responsabilités, à en faire plus. Mais ce n’est pas toujours souhaitable », ajoute Valérie Legendre.

« Le problème qu’on a avec les femmes en télétravail, c’est qu’elles ne prennent pas leurs congés de maladie. Elles travaillent plutôt malades de la maison », indique de son côté Chantal Martel, coordonnatrice RH à la Société Terminaux Montréal Gateway, une entreprise qui assure la gestion des conteneurs dans le Port de Montréal.

« On note aussi un problème d’accès à certains soins et services, poursuit- elle. On a de la difficulté à recommander nos employés aux bonnes ressources. En général, on les dirige vers le PAE, mais ce n’est peut- être pas toujours la meilleure option. »

« Je conseille aux employeurs de bien prendre connaissance de l’offre de leur fournisseur de PAE, soutient Cathy Perron. L’offre a beaucoup évolué depuis la pandémie. Certains fournisseurs ont des services plus élargis, qui peuvent par exemple inclure le soutien aux aidants naturels. Ça vaut la peine de comparer les différentes propositions sur le marché. »

«Samuel Agostini CayerLa santé des femmes est un sujet très en vogue actuellement et nous en sommes encore au stade exploratoire. Nous sommes à l’étape de regarder ce qui existe et ce que l’on pourrait mettre en place. »

 – Samuel Agostini-Cayer, Bell

Un débat à l’échelle sociale

Même s’ils sont déterminés à rendre leurs milieux de travail et leurs régimes d’avantages sociaux plus adaptés à la santé des femmes, les participants de la table ronde insistent sur le fait que l’enjeu va bien au- delà des seuls gestes que peuvent poser les employeurs.

« Seulement 4 % des budgets de recherche et de développement dans le secteur médical sont consacrés à la santé des femmes, alors qu’elles représentent 50 % de la population, déplore Litsa Spiridonakos. Le Canada a fourni des lignes directrices pour inclure les femmes dans les études cliniques à la fin des années 1990 seulement. »

« Initialement, les femmes étaient retirées des protocoles de recherche parce qu’on craignait pour le foetus et la santé reproductive, renchérit Valérie Legendre. Le problème, c’est que de nombreux protocoles de traitement établis et enseignés, encore à ce jour dans les écoles de médecine, sont en majorité basés sur les résultats obtenus par des études qui ont largement exclu les femmes. On considérait auparavant que la seule différence entre les hommes et les femmes reposait sur le portrait hormonal lié à la santé reproductive. Alors que nous disposons maintenant de nombreuses preuves scientifiques qu’il existe des différences entre les hommes et les femmes. »

Elle soutient par ailleurs que les effets secondaires des médicaments sont souvent plus présents chez les femmes, encore une fois parce que les médicaments sont d’abord conçus pour les hommes d’après des études réalisées en majorité sur eux.

«Litsa SpiridonakosIl existe encore une mauvaise compréhension de la façon dont certaines maladies affectent les femmes. Parfois, leurs symptômes ne sont pas reconnus ou ne sont pas assimilés à certains problèmes de santé. Les femmes sont socialisées pour apprendre à vivre avec leurs problèmes. »

 – Litsa Spiridonakos, Organon

« Il existe encore une mauvaise compréhension de la façon dont certaines maladies affectent les femmes, opine Litsa Spiridonakos. Parfois, leurs symptômes ne sont pas reconnus ou ne sont pas assimilés à certains problèmes de santé, c’est le cas des maladies cardiovasculaires, par exemple. Il y a du rattrapage à faire et plus d’investissement requis en recherche. Les femmes sont socialisées pour apprendre à vivre avec leurs problèmes. Ça fait quoi, cinq ans, qu’on parle de ménopause en ressources humaines ? »

« Beaucoup de femmes ne sont pas prises au sérieux lorsqu’elles abordent des symptômes physiques qui sont atypiques. Elles se font dire qu’elles sont trop anxieuses, souffrent de dépression ou qu’elles sont trop préoccupées par leurs symptômes physiques, souligne Valérie Legendre. Ce n’est pas intentionnel, mais plutôt le résultat d’un préjugé implicite et omniprésent sur le sexe et le genre qui persiste en médecine et qui conduit les patientes à être mal diagnostiquées, invalidées et conséquemment parfois mal traitées. Par exemple, des femmes en ménopause et en préménopause se font prescrire des antidépresseurs pour gérer leurs symptômes et se voient aussi refuser des bilans hormonaux puisqu’elles ne remplissent pas les critères standards établis. C’est là qu’on voit que la santé de la femme a longtemps été axée sur la santé reproductive. »


• Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2024 du magazine Avantages.
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