Des professionnelles de l’industrie de la retraite et des avantages sociaux discutent de leurs carrières et des défis auxquels elles ont fait face.

Les femmes formaient près de la moitié (48 %) de la ­main-d’œuvre au pays en 2016, comparativement à 37 % il y a 40 ans, selon des données de ­Statistique ­Canada. Il reste toutefois du chemin à faire dans certains secteurs, notamment celui des services financiers.la

Camilla ­Sutton, présidente et chef de la direction de l’organisme à but non lucratif ­Women in ­Capital ­Markets, affirme observer une hausse du nombre de jeunes femmes qui arrivent dans le secteur. Or, dépendamment de la firme et du ­sous-secteur, les résultats en matière de rétention sont mitigés. « ­Nous voyons toujours un faible pourcentage de femmes aux échelons les plus élevés, ­dit-elle. C’est frustrant que les chiffres n’aient pas bougé de manière aussi vite et durable que la plupart d’entre nous aurions souhaité. »

Il existe plusieurs raisons, poursuit ­Mme ­Sutton, dont les diverses cultures de leadership et les frustrations ressenties par les femmes lorsqu’elles sont minoritaires dans une culture majoritaire. « ­Cela recouvre des aspects comme les biais cognitifs (unconscious bias) et la généralisation de la façon dont les femmes demandent une augmentation de salaire ou une promotion, comparativement à un homme. »

Voies différentes

Même si les femmes assument de plus en plus de rôles majeurs dans le secteur de la retraite et des avantages sociaux, elles n’empruntent pas toutes le même chemin pour y parvenir.

Colleen ­Falco, directrice principale, ressources humaines, à ­Niagara ­Casinos, travaillait dans des écoles primaires et les soins palliatifs avant de se découvrir une passion pour les ressources humaines. « ­Avec mon expérience en formation, éducation et gestion de programmes, je me suis retrouvée dans un rôle de formation en ­ressources humaines (RH) et, à partir de là, à occuper des postes à responsabilités croissantes. »

Tôt dans sa carrière, ­Pamela ­Cant, ­vice-présidente adjointe des ressources humaines à l’Université ­Wilfrid ­Laurier, a songé à devenir professeure. « C’était une possibilité, mais j’ai fait un cours en ­RH à l’école de commerce que j’ai trouvé réellement intéressant », ­explique-t-elle. En même temps, elle travaillait comme gérante dans une chaîne de restaurants où elle est devenue représentante locale des ­RH. « ­Ce que j’aime des ­RH, c’est qu’on est une joueuse clé dans les affaires de l’entreprise tout en étant très axée sur les gens. »

De son côté, ­Orla ­Cousineau, directrice à ­UBC ­Investment ­Management ­Trust, a débuté comme avocate. « À la fin des années 1980, ­Mercer m’a appelée pour me demander si je serais intéressée par un changement de carrière, ­déclare-t-elle. Je ne connaissais rien aux régimes de retraite, mais c’était une occasion géniale. Je venais d’avoir un deuxième enfant et il était difficile d’équilibrer la pratique du droit avec des ­tout-petits. »

Ce sont d’abord et avant tout les chiffres qui ont attiré ­Carole ­Bélanger, directrice principale, régimes de retraite à la ­Société ­Radio-Canada. « J’adorais les maths. J’étais bonne, l’actuariat me paraissait donc intéressant. » ­Après un bacc en mathématiques avec spécialisation en services actuariels, elle a travaillé dans le domaine à ­Montréal et à ­Toronto, mais ne pensait pas y faire carrière. « ­Quand on débute en actuariat, il y a des marches à suivre, on devient comme un robot, ­dit-elle. Tout est calculs et chiffres. Il n’y a pas d’interaction sociale. » ­Tout le contraire au service du régime de retraite du ­CN, où elle a trouvé un emploi, qui lui a en outre permis de développer sa passion pour les régimes de retraite. « ­Puisqu’il s’agit d’une grande entreprise, tout se faisait à l’interne : administration du régime, réglementation, conformité, rapports, même certains mandats actuariels. Cela m’a permis de développer mes compétences. »

Julie ­Cays, directrice principale des placements au régime de retraite des ­Colleges of ­Applied ­Arts and ­Technology, a fait un baccalauréat en économie avant de commencer sa carrière dans une firme de gestion des placements, ce qui lui a fait aimer l’industrie. Après 16 ans passés dans différents rôles à la ­Banque canadienne impériale de commerce, elle s’est retrouvée à s’occuper du régime de retraite. « J’ai découvert le monde des investissements des caisses de retraite et je n’ai jamais regretté ce changement de cap. »

« De nombreuses fois, j’ai quitté des réunions avec un sentiment d’insécurité à cause de personnes qui ne m’appuyaient pas. Parfois, c’était un grand défi d’obtenir du soutien et d’être reconnue pour ses connaissances, sans égard à qui on est. »

Carol Craig, Telus

Obstacles

Même si l’expérience globale des femmes consultées dans le cadre de cet article s’est avérée positive, il y a bien sûr eu des défis. « ­Je crois que le monde des régimes de retraite convient très bien aux femmes.

Il y a beaucoup de collaboration, affirme ­Julie ­Cays. Gérer des placements constitue toujours un défi, mais l’équilibre ­travail-famille est plus facile à gérer puisque les régimes de retraite connaissent peu d’urgences. »

Diana ­Godfrey, ­vice-présidente principale, ressources humaines à ­Fidelity ­Canada, se rappelle des obstacles quand elle était la seule femme gestionnaire dans un environnement manufacturier. « J’ai appris à être très résiliente et j’ai fini par comprendre qu’il ne s’agissait pas d’attaques personnelles, ­explique-t-elle. C’était leur façon de communiquer. Ce qui n’est pas une justification, mais cela a fait naître en moi un ardent désir que les choses changent. »

Pour ­Orla ­Cousineau, les obstacles reflétaient certains aspects sociaux, ou informels, de la culture de l’entreprise. « ­Les gars qui allaient jouaient au golf, par exemple, ou qui se rendaient le vendredi ­après-midi dans un bar pour quelques parties de billard. Bien sûr, on ne m’invitait pas à y participer », ­dit-elle en riant.

Heureusement, la plupart de ces femmes affirment qu’on ne les a pas traitées ou perçues de façon différente en raison de leur sexe. « J’ai eu la chance d’avoir de formidables employeurs et, à cause de cela, je ne sentais pas de pression liée au fait d’être une femme, observe ­Carole ­Bélanger. J’ai travaillé avec des femmes, j’ai eu des collègues masculins et chaque fois on m’a traitée équitablement. »

Carol ­Craig, directrice, personnes, culture et avantages sociaux à ­Telus, attribue ses meilleures expériences dans l’industrie aux personnes qu’elle a rencontrées. Les embûches étaient souvent dues à un manque de soutien. « ­De nombreuses fois, j’ai quitté des réunions avec un sentiment d’insécurité à cause de personnes qui ne m’appuyaient pas. Parfois, c’était un grand défi d’obtenir du soutien et d’être reconnue pour ses connaissances, sans égard à qui on est. »

Si le manque de soutien est décourageant, la discrimination salariale l’est encore plus. « ­Au ­Canada, l’écart salarial s’élève à environ 26 %, explique ­Camilla ­Sutton. Ce qui veut dire qu’en moyenne, les femmes gagnent 26 % de moins que les hommes. »

Diana ­Godfrey se souvient d’une conversation sur la rémunération avec le président d’une entreprise où elle a travaillé. « ­Il m’a dit : « Nous vous aurions payée plus, mais vous êtes célibataire et donc capable de vous en sortir. Le directeur de l’entrepôt a une famille, dont il est l’unique soutien, et a donc besoin d’être payé plus. » C’était comme cela dans les années 1980. »

La question de l’équité salariale est loin d’être réglée aujourd’hui, fait remarquer ­Colleen ­Falco. « ­Quand on parle de barrières, c’est probablement la rémunération qui a eu le plus grand impact sur ma carrière », ­dit-elle, ajoutant qu’elle le savait parfaitement quand on la payait moins que ses collègues masculins. Cela fait partie des biais cognitifs.

« ­On peut se demander pourquoi ces biais persistent, alors qu’il serait si simple de rémunérer le rendement, le rôle ou les responsabilités, ­dit-elle. Et, en tant que responsable de la rémunération de l’entreprise, je constate à quel point il faut constamment faire de l’éducation sur les divers postes, la façon de les évaluer, et le fait que l’étendue des responsabilités devrait guider la rémunération au lieu d’autres facteurs. »

« Au début de ma carrière, je ne pensais pas nécessairement à aider quelqu’un d’autre. Je crois que c’est un défaut. L’école est un environnement compétitif. On y va pour être la meilleure de la classe afin d’avoir le meilleur travail. Je le comprends. Mais une fois au travail, assurons-nous d’aider les autres. »

Diana Godfrey, Fidelity Canada

Mentorat

Malgré les défis, les femmes consultées n’hésitent pas à souligner le rôle des mentors – femmes et hommes – qui les ont encouragées, épaulées et poussées à se dépasser en cours de route.

Pour ­Camilla ­Sutton, le mentorat est d’une importance capitale. « ­Je dirais même le mentorat d’une variété de sources, donc tant à l’intérieur de son entreprise que dans l’industrie en général. »

Le parrainage s’avère encore plus crucial, ­ajoute-t-elle. « ­Si je me fie à ma propre expérience, sur le moment on n’est pas toujours conscient de nos parrains. Ce n’est que plus tard qu’on se rend compte de ces personnes assises autour de la table qui demandaient qu’on vous considère pour différents rôles et opportunités. »

L’un des mentors d’Orla ­Cousineau lui a ainsi demandé si sa carrière répondait à ses besoins et lui a offert l’occasion de participer à des projets spéciaux ou des initiatives à l’échelle nationale. « C’était important pour moi, qui travaillais dans un bureau régional – et donc éloigné physiquement du siège social. On a besoin de temps sur place et en personne afin d’être reconnue et d’avancer dans l’entreprise. »

D’autres mentors ont démontré leur soutien lors de moments forts de la carrière de ­Colleen ­Falco, par exemple lors d’une promotion. « ­Pensons à la première transition de spécialiste à gestionnaire, ou de gestionnaire à directrice, ou encore [au besoin] d’aide pour naviguer dans les politiques de bureau », ­ajoute-t-elle.

Peu importe le parcours de chacune, l’élan vient en grand partie du soutien reçu, surtout d’autres femmes, maintient ­Diana ­Godfrey. « ­Au tout début de ma carrière, je voulais être la numéro un, donc je ne pensais pas nécessairement à aider quelqu’un d’autre. Je crois que c’est un défaut, ­explique-t-elle.

L’école est un environnement compétitif. On y va pour être la meilleure de la classe afin d’avoir le meilleur travail. Je le comprends. Mais une fois au travail, ­assurons-nous d’aider les autres. »

Julie ­Cays abonde dans le même sens. « ­Je connais beaucoup de femmes qui occupent des rôles assez importants et qui parlent de leurs mentors masculins. Je crois que les femmes s’améliorent pour mieux jouer ce rôle et cela aidera beaucoup à l’avenir. »

Il est également important pour les femmes de ne pas se remettre en question ni de ­sous-estimer leurs capacités, constate ­Pamela ­Cant. « ­Nous avons souvent l’impression qu’il faut être 100 % qualifiée et expérimentée pour assumer un poste plus exigeant. Je crois que, lors de chaque avancement professionnel, j’ai toujours eu des doutes et me suis demandé : « ­Suis-je vraiment prête ? » »

Mais elle a su relever le défi à tous coups. « N’ayez pas peur de vous lancer dans la course, même si vous ne vous sentez pas complètement prête à assumer le rôle. Il y aura toujours des gens pour vous soutenir et vous aider. »

Women in ­Capital ­Markets accorde beaucoup de temps à inciter les femmes à prendre leur place à table, mais les employeurs ont également un rôle à jouer, conclut ­Camilla ­Sutton. « ­On a le devoir, lorsqu’on sent qu’une employée est prête pour un nouveau rôle ou une nouvelle occasion, de prendre les devants et de lui en faire part. »

Brooke ­Smith est une journaliste et rédactrice basée à ­Toronto. Ce texte a initialement été publié dans ­Benefits ­Canada. Traduction de ­Simeon ­Goldstein.

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