Avec le gouvernement fédéral qui lancera le Régime de pension agréé collectif (RPAC), l’avenir des régimes de retraite est la priorité des promoteurs et des fournisseurs de tels régimes. Notre pendant anglophone, Benefits Canada, a donc demandé à cinq experts de partager leur opinion quant aux problèmes des régimes de retraite et de la direction que devrait prendre la réforme des régimes de retraite.

Les experts
Éric Fillion, vice-président, Développement et mise en marché, épargne pour les groupes et les entreprises, Mouvement Desjardins.

Larry Ketchabaw, gestionnaire régime de retraite et avantages sociaux, Unisource Canada.

Ian Markham, responsable de l’innovation de la retraite canadienne, Towers Watson Canada.

Perry Teperson, gestionnaire de portefeuilles de retraite, Leith Wheeler Investment Counsel.

Terry Troy, PDG du Halifax Regional Municipality Pension Plan.

Voici ce qu’ils avaient à dire…

À la suite de la crise de 2008 et dans le contexte de volatilité actuelle, êtes-vous portés à faire plus de gestion du risque? Quelles sont les actions que vous avez prises en ce sens?

Ian Markham : La « tempête parfaite » de 2001-2002 avait déjà donné un nouveau visage à la gestion du risque, mais on avait tendance à croire que ce serait un événement unique. La crise de 2008 a changé la donne, et avec ce qui se passe sur les marchés depuis quelques mois, je pense que tous les promoteurs, tant de régimes à cotisation déterminée que ceux de régimes à prestations déterminées, se concentrent sur la gestion du risque aujourd’hui.

Dans le contexte actuel, les actions sont :

  1. Changer la stratégie d’investissement des régimes à cotisation déterminée, afin de la rapprocher de celle des obligations à long terme, planification pour encore plus de mouvement et améliorer les ratios de capitalisation.

2. Réduire la dépendance des régimes à cotisation déterminée, notamment pour les nouvelles embauches du secteur privé.
3. Être très prudent quand on met en place une stratégie de communication pour les régimes à prestations déterminées.

Terri Troy : Nous avons toujours fait attention à bien gérer le risque, mais il faut avouer qu’avec l’augmentation de la volatilité au cours des deux-trois dernières années, nous gérons les portefeuilles avec plus de prudence. Afin de le faire le mieux possible, nous essayons d’utiliser des comptes différents, quand cela est possible, afin d’avoir des états de compte de nos positions au bon moment. Avec les caisses de gestion commune, il est impossible de voir les mouvements sur une base régulière. De plus, nous nous efforçons de communiquer à l’avance à nos gestionnaires de l’investissement nos intentions sur les rachats potentiels afin que nous soyons en mesure de coordonner nos actions.

Larry Ketchabaw : Au 1er janvier 2010, les nouveaux employés ne pouvaient adhérer à notre régime à cotisations déterminées. Jusqu’à cette date, nous avions une stratégie assez agressive, 75 % d’actions ordinaires et 25 % d’obligations, ce qui était parfait compte tenu de la démographie des employés et des résultats les rapports actif-passif. Depuis ce temps, nous sommes passés à une stratégie 60 % d’actions ordinaires et 40 % d’obligations, avec un portefeuille d’obligations composé d’obligations sans intérêt plutôt qu’un portefeuille gérer activement composé des typiques obligations canadiennes. Nous avons de plus amendé notre Statement of Investment Policies & Procedures afin d’être en mesure d’acheter encore plus d’obligations long terme si c’est ce que nous voulions faire à l’avenir. Nous avons échangé notre régime à cotisations déterminées pour un régime à prestations déterminées, afin d’avoir un peu plus de sécurité pour notre bilan.

Perry Teperson : Dans notre portefeuille d’obligations, nous avons augmenté la liquidité et la qualité de nos obligations de société. Lors de la période de resserrement du crédit il y a quelques années, les obligations de société sont devenues assez illiquides, et il est devenu ardu de vendre ces bonds et d’acheter des actions. Si jamais il y a avait une autre crise, nous voulons être prêts en détenant des obligations de qualité et qui sont les plus liquides. C’est la gestion du risque qui nous a amenés à prendre ces décisions, même si le prix à payer est un rendement plus faible. Certains clients veulent mettre en œuvre une stratégie de réduction des risques, avec des solutions prédéterminées si les rendements augmentent, par exemple acheter plus d’obligations long terme et d’actions. Cette stratégie est surtout applicable pour les régimes à prestations déterminées matures.

Qu’est-ce qui doit changer, d’un point de vue réglementaire/légal, pour que les régimes à prestations déterminées soient une option plus viable et rentable pour plus d’employeurs?

Larry Ketchabaw : Un adhérant d’un régime de retraite souhaite que les régimes à cotisation déterminée ressemblent plus aux régimes à prestations déterminées. Les gestionnaires de ces régimes souhaitent le contraire. Tout est une question de volatilité et de risque. Les régimes à prestations déterminées doivent être moins risqués pour que les employeurs continuent à les offrir. Pour ce faire, le risque de ces régimes doit être partagé entre les employés et le promoteur. La vieille notion de prestation garantie doit disparaître et être remplacée par quelque chose de plus flexible, qui garantirait aux promoteurs le montant versé annuellement, pas le profit.

Éric Fillion : Alors que les transitions de régimes à prestations déterminées vers des régimes à cotisation déterminée continuent, on transfère le risque de l’employeur vers l’employé. Alors que le marché évolue, nous pensons que de nouveaux partenariats permettront de partager le risque, ce qui rendrait les régimes à prestations déterminées plus viables. Il faut aussi porter attention aux besoins des participants et à la manière dont on communique avec eux. La priorité du participant est de s’assurer un revenu de retraite, alors nos solutions devraient être élaborées en ce sens, tout en répartissant équitablement le risque entre les employeurs, les participants et les promoteurs.

Terri Troy : Je crois que les régimes à prestations déterminées sont viables à long terme. Mais qu’ils soient efficaces, ce genre de régime doit évoluer dans un environnement flexible, afin de tenir tête aux défis qui se posent à court terme. Un modèle qui vaut la même de considérer est le régime de retraite financé conjointement, où la gestion est partagée entre les participants et l’employeur et où les cotisations, les déficits et les surplus sont partagés équitablement. Ce genre de régime s’applique à un employé unique ou à un groupe d’employés. Et avec ce modèle, nul besoin d’éponger les pertes, puisque le risque est partagé équitablement et que les décisions sont prises conjointement entre les employés et l’employeur.

Perry Teperson : Un régime de retraite qui inclut un plan de rendement ciblé, un peu comme les plans multiemployés dont les coûts ont été négociés au Canada. Un point où tout le monde doit tomber d’accord est que le prix du financement de 100 $ de revenu de retraite a augmenté à cause des taux d’intérêt qui sont bas et de l’espérance de vie qui augmente. Aucun changementè la conception du plan ou à la manière de financer ne va changer cette hausse des coûts. Les solutions viables vont exiger que les toutes les parties intéressées revoient leurs exigences afin qu’elles soient plus raisonnables et réalistes.

Ian Markham : La viabilité des régimes à prestations déterminées dépend de l’habileté du promoteur à absorber les coûts de la volatilité. Plus le promoteur est capable de résister à la volatilité, moins les actions qu’il devra prendre pour que le plan reste viable seront sévères. Les promoteurs qui se retrouvent dans une position enviable sont ceux dont la dette du régime à prestations déterminées n’est pas matérielle quand elle est comparée à la dette de l’entreprise; ceux dont le plan d’adhésion n’est pas vraiment mature, d’un point de vue démographique; ceux dont les employés et l’employeur se partagent les coûts du régime. Pour que leur plan soit viable, les gestionnaires doivent opter pour le partage des risques et tenter de trouver le juste milieu entre les besoins des participants et ceux des promoteurs.

Est-ce que le RPAC est la bonne solution pour le Canada? Quel impact l’instauration d’un tel régime aura-t-elle sur les employeurs et sur l’industrie en général?

Éric Fillion : Les sondages ont révélé que trop de Canadiens n’épargnent pas assez en vue de la retraite. Cette proposition de RPAC pourrait renverser la situation. Mais établir ce genre de régime n’est qu’un début. L’éducation et la communication influenceront grandement le niveau d’engagement de l’employé. Notre défi en tant que promoteur de régimes de retraite est de s’assurer que ces employés comprennent l’importance qu’aura à long terme un régime de pension agréé collectif pour leur épargne-retraite.

Larry Ketchabaw : Du point de vue du participant, le RPAC est une bonne solution pour ceux qui n’ont pas accès à un régime à cotisation déterminée pour leur retraite. Mais malheureusement, comme à chaque fois que quelque chose est optionnel, il y a une large partie des gens qui auraient avantage à adhérer à ce genre de régime qui ne le fera pas. Avant que notre régime de retraite devienne obligatoire, nous avions toujours des employés qui refusaient d’y participer. C’est pourquoi, toujours d’un point de vue de participant, la bonification du Régime de pensions du Canada serait une meilleure solution.

En tant qu’employeur, je ne veux pas voir mes cotisations au RPC augmenter dans un avenir rapproché, alors je suis bien content de voir arriver le RPAC. Les défis pour l’administrateur seront les mêmes que pour le promoteur : comment éduquer les participants au régime sur l’investissement, afin qu’ils soient en mesure de prendre des décisions d’investissement éclairées.

En ce moment, je préfère l’approche volontaire, afin d’augmenter la protection des régimes de retraite. De cette manière, on ne force personne à faire de mauvais choix en matière d’épargne-retraite et l’on évite d’imposer un autre fardeau fiscal sur les épaules des employés qui n’adhèrent actuellement à aucun régime de retraite. Et cela ne fait pas de tort à l’industrie privée. Mais il reste encore beaucoup de questions sans réponse.

Quelle sorte de régime sera le RPAC? Plutôt un régime à prestations déterminées ou à cotisation déterminée? Quelles en seront les conditions? Que veut dire « à moindre coût » : plus faibles que les coûts actuels, que les instruments d’investissement comme les REER? Quels seront les choix d’investissement qu’offriront les administrateurs de ce RPAC? Pourquoi les épargnants devraient-ils choisir le RPAC plutôt que le REER? Comment le gouvernement fédéral et les administrateurs du RPAC aideront-ils les Canadiens à faire le choix entre le RPAC, le remboursement de l’hypothèque, le CELI, le REER ou la contribution à un régime au travail?

Il semble possible que certains promoteurs de régime à cotisation déterminée changent vers un RPAC afin de réduire leur charge financière, ou si l’on apprend que le RPAC a plus davantage qu’un régime à cotisation déterminée. Il est aussi possible que des promoteurs de régimes à prestations déterminées utilisent le battage médiatique autour du RPAC pour y attirer de nouveaux employés, de même que certains participants au régime actuel. Ce genre d’actions ne fera pas augmenter le nombre de Canadiens couverts par un régime de retraite, et pourrait même faire diminuer le montant des contributions que font les employés à leur régime au travail.

Perry Teperson : Va-t-on dans la bonne direction, si l’on compare au renforcement du RPC, est une bonne question à se poser. Ça revient finalement au débat entre régimes à prestations déterminées contre régimes à cotisation déterminée. Les employeurs, dans le contexte économique actuel, seraient heureux de voir que leurs dépenses n’augmenteront pas grâce à de plus gros chèques du RPC.
Si vous aviez une baguette magique, quelles autres réformes voudriez-vous mettre en place?

Larry Ketchabaw : Comme je l’ai déjà dit plus tôt, nous voulons que les régimes à prestations déterminées ressemblent plus aux régimes à cotisation déterminée, donc que le risque soit donc partagé entre les promoteurs et les participants au régime, et nous voulons que les régimes à cotisation déterminée ressemblent plus aux régimes à prestations déterminées, afin que la responsabilité soit moindre d’éduquer les participants. Si c’est réellement ce que veulent les promoteurs et les participants, alors pourquoi les régulateurs ne nous le permettent pas? Changer les règles afin de permettre que les niveaux de rendement puissent changer, comme on peut le faire dans les régimes à prestations déterminées. Que les régimes à cotisation déterminée soient simplifiés, avec des instruments d’investissement à date fixe, si c’est ce que veulent les participants.

Terri Troy : Éliminer la règle qui limite les déductions fiscales sur les contributions à un régime de retraite, quand un certain niveau de surplus a été atteint. Le règlement actuel limite l’accumulation prudente et nécessaire du surplus qui sera nécessaire quand le fonds aura besoin d’argent.

Fixer une règle qui régit le partage du surplus. Permettre le partage du risque des surplus et des déficits, entre les employeurs et les membres. Si un employé ne peut pas bénéficier des surplus futurs, pourquoi cotiserait-il alors plus que le montant minimum requis?
Créer une législation sur les régimes de retraite qui soit similaire partout au Canada. Avoir soit des régulateurs provinciaux qui créeraient un ensemble de règles, soit un organe réglementaire commun pour les provinces et le fédéral.

Éric Fillion : Combattre la littératie financière est le moyen d’assurer la viabilité. Les Canadiens doivent être initiés à la finance dès leur plus jeune âge. Pourquoi ne pas rendre la planification de l’épargne-retraite ne deviendrait pas un sujet obligatoire à l’école? Cela prendre certainement du temps et de la patience, mais cet effort en vaut la peine pour que l’épargne-retraite devienne naturelle dans la société.

Perry Teperson : Certaines provinces ont déjà éliminé les évaluations de solvabilité, puisque les bénéfices peuvent être réduits, si le régime a des problèmes d’argent. Mais ce ne sont pas toutes les provinces qui sont allées dans ce sens.

Ian Markham : Autoriser immédiatement les lettres de crédit pour les déficits de solvabilité. Permettre aux plans d’établir une fiducie de sécurité pour les contributions futures. Trouver d’autres solutions afin que les employés du secteur privé cotisent plus que le minimum requis.