1- JACQUES L’ESPÉRANCE:
Il y a deux ans, la confidentialité des renseignements personnels ne
constituait pas une préoccupation aussi majeure. La nouvelle loi fédérale
a créé une prise de conscience qui a nécessité un
changement d’attitude dans l’industrie. Qu’est-ce que la nouvelle loi
a modifié chez les assureurs?
2- PIERRE MARION: Avec l’arrivée
de la Loi fédérale, nous avons uniformisé nos pratiques
à l’échelle du pays et remis en priorité l’importance
des pratiques corporatives en rapport de la confidentialité des dossiers.
3- CYRIL BENDAHAN: La Loi fédérale
n’a pas changé nos pratiques, mais plutôt renforcé
ce qui se faisait déjà depuis 1994 au Québec. La Loi fédérale
a semblé réveiller tout le monde, mais dans les faits, la Loi
québécoise est en vigueur depuis 10 ans.
4- PIERRE MARION: Des équipes
de travail se sont penchées intensément sur ce dossier pendant
des mois afin d’uniformiser nos pratiques de façon à respecter
les règles quant à la cueillette et à l’utilisation
des renseignements personnels. Ce qui me paraît étonnant, c’est
que selon la nature des ententes contractuelles, les règles d’accès
aux informations varient.
5- ME RAYMOND DORAY: Le type
d’assurance collective et la nature du contrat entre l’assureur
et son client détermineront le rôle de chacun ainsi que sa marge
de manoeuvre en ce qui a trait à l’accès aux renseignements
personnels. Il faut donc se demander si l’assureur joue entièrement
son rôle en assurant les invalidités et en assumant le risque ou
s’il joue seulement le rôle d’administrateur du régime(S.A.S.)?
Si l’employeur assume le risque, la jurisprudence lui reconnaît
le droit d’obtenir des informations personnelles plus détaillées
et plus sensibles.
6- LIETTE PÉTELLE: Nous
étions déjà très sensibilisés aux subtilités
de la loi au Québec, avant même l’entrée en vigueur
de la Loi fédérale en janvier dernier. Nous sommes plus strictes
face à l’information que nous pouvons divulguer, notamment à
une personne autre que l’assuré.
7- JACQUES L’ESPÉRANCE: Qu’est-ce
qui distingue la Loi fédérale?
8- ME DORAY: À bien des
égards, les deux lois sont semblables. Mais contrairement à ce
qui se passe en vertu de la Loi fédérale, les décisions
rendues par la Commission d’accès à l’information
(CAI), en vertu de la Loi québécoise, sont exécutoires.
Au Québec, la CAI et la cour du Québec ont décidé
que l’employeur ne peut pas obtenir certains renseignements même
avec un consentement, si ces renseignements ne lui sont pas nécessaires.
Dans la plupart des cas, il faut d’abord se préoccuper de la Loi
du Québec.
9- CLAUDE FRÉCHETTE: En
1994, lorsque la Loi du Québec est arrivée, elle n’a eu
que très peu d’impact dans le milieu de l’assurance collective,
alors qu’avec la Loi fédérale, les assureurs bouillonnent
de modifications. Pourtant, la Loi fédérale ne s’applique
pratiquement pas au Québec.
10- ME DORAY: Plusieurs entreprises
croient, à tort, que la nouvelle Loi fédérale est plus
stricte que la Loi du Québec. À bien des égards, la Loi
québécoise est beaucoup plus sévère notamment en
ce qui a trait au critère de nécessité. Pour être
jugés nécessaire, les renseignements recueillis doivent répondre
à une préoccupation urgente, réelle et légitime.
Ensuite, il faut mesurer si ces renseignements sont plus dommageables pour l’individu
que les bénéfices pour l’entreprise qui les recueille. Enfin,
l’atteinte à la vie privée doit être minimale. Les
exigences du consentement sont également plus sévères au
Québec qu’au fédéral.
11- RÉMY TONDREAU: En
tant qu’employeur, nous cherchons davantage à savoir la raison
de l’absence d’un employé plutôt que le diagnostic
précis. Tout ce que nous voulons savoir c’est si son travail en
est la cause.
12- ME DORAY: Pour l’assureur,
la plupart des informations lui sont nécessaires pour traiter la réclamation.
Le problème réside dans la relation entre l’employeur et
l’assureur. L’employeur peut rarement justifier que tous les renseignements
sensibles(ex. diagnostic)lui soient nécessaires. Seuls quelques éléments
lui sont généralement nécessaires, comme la date de retour
au travail et les limitations fonctionnelles de l’employé.
13- RÉMY TONDREAU: Si
un employé fait une demande de réclamation à l’assureur,
puis change d’idée pour faire une requête à la CSST
par la suite, nous aurons des doutes quant à la véracité
de la demande. Nous chercherons alors à approfondir afin de voir de plus
près s’il y a fraude.
14- ME DORAY: Lorsqu’il
y a un motif raisonnable de croire à une fraude ou à une violation
de la loi par un employé, la Loi québécoise permet entre
autres à deux employeurs de s’échanger de l’information
sur celui-ci sans son consentement.
15- JOHANNE POTVIN: Les règles
édictées par les deux lois occasionnent d’énormes
frustrations chez les employeurs quant à la cueillette et à la
transmission des informations personnelles, notamment lors des échanges
entre l’employeur et l’assureur.
16- CYRIL BENDAHAN: Lorsque
les directives administratives sont plus strictes, nous nous faisons reprocher
que nous sommes trop sévères. Même en étant mandataire,
nous sommes réticents à donner de l’information à
l’employeur parce que nous ne savons pas quelle sera l’utilité
de cette information. Il reste encore des ambiguïtés dans l’interprétation
de la loi. À qui le consentement de l’employé a-t-il été
accordé? À l’assureur ou à l’employeur?
17- ME DORAY: L’employeur
a droit à plus de renseignements lorsqu’il assume le risque, mais
encore faut-il qu’il utilise ces informations pour des fins de gestion
de son régime d’assurance collective et non pas pour des fins disciplinaires.
18- JACQUES L’ESPÉRANCE:
L’assureur peut-il refuser de donner des informations à l’employeur
sous prétexte que ce dernier en ferait un mauvais usage?
19- ME DORAY: Il y a des renseignements
personnels que l’assureur ne peut simple- ment pas lui communiquer en
vertu de la loi. L’assureur a un cadre bien défini contractuellement
dans sa relation avec l’employeur, il sera plus facile pour lui de s’exonérer
de toute responsabilité pour avoir refusé de divulguer des renseignements
que son client exige d’obtenir.
20- RÉMY TONDREAU: Je
n’ai jamais eu de problèmes avec les assureurs quant à la
façon d’utiliser les informations personnelles. Si un employé
doit s’absenter de façon prolongée, nous allons gérer
le dossier comme une invalidité globale. L’employé a payé
ses primes et a droit de recevoir des prestations.
21- PIERRE MARION: La responsabilité
de faire respecter la loi incombe à tous et surtout aux assureurs puisque
ce sont eux qui détiennent l’information. Dans un processus de renouvellement,
ça serait tellement plus facile pour un assureur d’offrir l’information
désirée aux différents intervenants pour qu’ils comprennent
les raisons de l’augmentation des primes. La loi nous défend de
fournir certains renseignements. En n’obtenant que des informations partielles,
il est plus difficile de comprendre les hausses des primes.
22-CLAUDE FRÉCHETTE:
Comme consultant, nous demandons fréquemment certaines informations pour
préparer un mandat. Les employeurs nous fournissent souvent beaucoup
trop d’informations personnelles. Il reste donc encore beaucoup de travail
de sensibilisation à faire, mais dans l’ensemble, la formation
offerte par les assureurs a eu de bons résultats.
23- ME DORAY: Plusieurs employeurs
croient que tous les formulaires d’assurance répondent parfaitement
aux exigences de la loi, ce qui n’est malheureusement pas toujours le
cas. Souvent, les formulaires répondent aux exigences de la Loi fédérale,
mais ne satisfont pas les prescriptions de la Loi québécoise ou
encore ils n’ont pas été révisés à
la suite de l’évolution jurisprudentielle.
24- PIERRE MARION: Va-t-on devoir
changer de formulaire chaque fois qu’un jugement survient pour être
sûr de suivre l’évolution de la loi?
25- ME DORAY: Les employés
sont maintenant plus réticents à signer des formulaires de consentement
parce qu’ils craignent les conséquences. Les employeurs devraient
donc préparer et distribuer un document expliquant à leurs employés
pourquoi il est nécessaire de recueillir telles informations, à
qui elles seront transmises et à quelles fins elles serviront.
26- RÉMY TONDREAU: La
Commission d’accès à l’information devrait uniformiser
le texte des formulaires.
27- ME DORAY: Effectivement,
à tout le moins les textes des grands contrats types pourraient être
uniformisés.
28- CYRIL BENDAHAN: Tous les
assureurs croient que leurs formulaires répondent aux normes. Lorsqu’on
nous impose des lois, cela bouscule les pratiques commerciales, mais dans l’ensemble,
nous avons fait un grand bout de chemin. En ce qui concerne les régimes
S.A.S., nous sommes habitués de ne pas recevoir toute l’information.
Dans bien des cas, elle n’était pas nécessaire de toute
façon.
29- JACQUES L’ESPÉRANCE:
Au Québec, est-ce que les pratiques ont changé depuis la mise
en vigueur de la Loi fédérale?
30- PIERRE MARION: Vers l’externe,
peu de choses ont changé outre quelques ajustements sur les formulaires.
À l’interne, l’avènement de la Loi fédérale
a renforcé la protection des renseignements et la nécessité
d’uniformiser nos pratiques. À titre d’exemple, si un préposé
n’est pas à son bureau pour plus de cinq minutes, l’écran
gèle pour éviter tout risque d’accès illégitime
à l’information.
31- CLAUDE FRÉCHETTE:
Les assureurs ont instauré des règles d’un nombre minimum
d’assurés pour la diffusion de rapports sommaires. Même pour
de l’information d’assurance maladie, pas très sensible,
certains assureurs ne donnent pas de rapport lorsqu’on n’a pas atteint
le nombre minimum d’assurés. Cela crée des difficultés,
surtout s’il s’agit de petits groupes.
32- ME DORAY: Les consultants
offrent maintenant de plus en plus à leurs clients des services visant
à les aider pour gérer certains aspects précis comme l’absentéisme
ou le retour au travail, par exemple.
33- JOHANNE POTVIN: Il est possible
de dresser un portrait global de l’absentéisme ou de l’usage
des médicaments chez un employeur avec des renseignements dépersonnalisés.
Tout en respectant la loi, nous pouvons aider nos clients. Ces données
peuvent aussi servir pour faire de la prévention ou de la promotion de
la santé. Il faut que le groupe d’assurés soit assez grand
pour que nous ne puissions pas reconnaître les personnes concernées.
34- ME DORAY: N’existe-t-il
pas aussi des services d’aide s’adressant aux employés?
35- JOHANNE POTVIN: Nous offrons
également des services d’accompagnement aux employeurs lors de
la planification, la mise en oeuvre ou le suivi des retours au travail de leurs
employés. Pour ces cas, nous sommes soumis aux mêmes règles
que l’employeur. C’est somme si nous étions son service de
ressources humaines.
36- ME DORAY : Le problème
c’est que certains consultants, qui veulent aider leurs clients à
résoudre des problèmes d’absentéisme ou de coûts
croissants du régime, font pression sur les employeurs pour qu’ils
obtiennent des renseignements beaucoup plus détaillés et personnalisés
de la part de l’assureur sur un individu en particulier. La loi prévoit
que le consultant qui est le mandataire de l’employeur ne peut obtenir
indirectement des renseignements que l’employeur n’aurait pas droit
de consulter lui-même.
37- JOHANNE POTVIN: Nous intervenons
parfois auprès de l’employé, notamment s’il a essuyé
un refus de réclamation de la part de l’assureur. Nous allons alors
obtenir, via son consentement, son dossier pour soutenir un règlement
dans le litige. D’autres fois, c’est l’employeur qui ne comprend
pas l’argument de son assureur, et qui va nous demander d’intervenir.
38- REMY TONDREAU: Plusieurs
employés, croient à tort que, parce qu’ils paient des primes,
leur réclamation sera automatiquement payée peu importe les motifs.
Nous devons leur faire comprendre que ce n’est pas parce qu’ils
paient des primes que leur réclamation sera admissible. Elle peut aussi
être refusée.
39- ME DORAY: Plusieurs syndicats
croient qu’ils ont le droit d’obtenir tout renseignement parce qu’ils
sont les preneurs du contrat d’assurance collective. Le consentement ne
peut pas se donner par le biais de la convention collective. Si l’employé
veut que son syndicat le représente auprès de l’assureur,
il doit signer un formulaire de consentement.
40- CYRIL BENDAHAN: Si le syndicat
est le preneur, comment applique-t-on la loi?
41- ME DORAY: La situation est
analogue à celle où l’employeur s’auto-assure. Il
a droit d’obtenir plus de renseignements pour des fins d’assurance,
mais il ne peut les utiliser pour la gestion des relations de travail ou la
discipline.
42- PIERRE MARION: Peu importe
que le preneur du contrat soit un syndicat, une association ou un employeur,
la loi doit s’appliquer pour l’individu. Ce n’est pas parce
que quelqu’un a pris un contrat collectif en son nom que l’information
peut être transmise sur son dossier.
43- ME DORAY: Oui mais le critère
de nécessité ne s’applique pas de la même façon.
Ça dépend de celui qui prend le risque.
44- PIERRE MARION: Selon la
relation entre l’employeur et les employés et dans la mesure où
nous avons toutes les autorisations nécessaires pour le faire, nous sommes
disposés à transmettre à l’employeur certains renseignements
médicaux sur ses employés. Toutefois, les droits des individus,
peu importe la relation entre l’assureur et son employeur, doivent être
respectés. La loi devrait s’appliquer de la même façon.
45- CLAUDE FRÉCHETTE:
Je suis d’accord. Pour l’individu, la loi ne devrait-elle pas s’appliquer
de la même façon?
46- ME DORAY: La situation juridique
variera puisque la relation entre l’assureur et l’employeur ne sera
pas la même. La jurisprudence reconnaît que, lorsque l’employeur
est à risque, il a droit d’obtenir plus de renseignements. Il doit
néanmoins les utiliser à des fins pertinentes.
47- JOHANNE POTVIN: La loi prévoit
que l’employeur a droit à certaines informations lorsqu’il
doit intervenir dans un dossier. Le critère de nécessité
s’applique alors.
48-LIETTE PÉTELLE: Nous
devons encore faire beaucoup d’éducation auprès des employeurs
qui désirent obtenir certaines informations sur leurs employés.
Des participants nous contactent aussi pour obtenir de l’information sur
euxmêmes ou leur protection d’assurance. Même dans de telles
situations, nous faisons attention aux renseignements divulgués.
49- ME DORAY: La Loi fédérale
exige des assureurs qu’ils fassent connaître la loi et les mesures
qu’ils ont prises pour la respecter. L’entreprise doit notamment
publier sa politique du respect à la vie privée.
50- LIETTE PÉTELLE: Les
gens connaissent mieux la loi maintenant et l’ampleur des conséquences
de l’utilisation de renseignements confidentiels.
51- CYRIL BENDAHAN: Ce n’est
pas parce nous avons l’autorisation de divulguer de l’information
signée par l’employé qu’il faut nécessairement
le faire. Ça dépend de la façon dont l’autorisation
a été exécutée.
52- JOHANNE POTVIN: Lorsqu’un
employé s’absente à plus long terme, le patron s’intéresse
à la date du retour au travail et si le retour sera régulier,
progressif ou modifié. Il n’est pas nécessaire pour lui
de connaître la raison de l’absence de l’employé. Même
si elle possède plus d’information, la personne en ressources humaines
ne doit rien divulguer.
53- JACQUES L’ESPÉRANCE: En
résumé, c’est généralement la Loi québécoise
qui s’applique au Québec. Normalement, l’employeur n’a
pas accès à des renseignements personnels sans le consentement
écrit de l’employé. Sans cette autorisation, l’assureur
ne doit pas divulguer les informations personnelles qu’il détient.