Dans le numéro précédent, nous avons montré que
même si les marchés émergents ne constituent pas un groupe
homogène, ils partagent un certain nombre de caractéristiques
communes, qu’elles soient financières, macroéconomiques,
structurelles, ou relatives à la gouvernance et à la transparence.
Ces dernières permettent de distinguer les marchés émergents
des marchés développés et des marchés frontières.

Les processus de libéralisation et d’ouverture des marchés,
ainsi que l’arrivée massive de capitaux étrangers ont favorisé
le développement rapide de ces marchés. Ce second volet de l’étude
met d’abord l’accent sur les principaux facteurs qui ont présidé
à l’engouement des investisseurs pour les marchés émergents
(effet de diversification et potentiel de croissance), ainsi que sur leur évolution.

Nous présentons aussi la performance historique relative des marchés
émergents par rapport à plusieurs catégories d’actif,
en prenant le soin de distinguer deux sous-périodes très différentes:
1988-1994 et 1995-2003. La croissance de ces marchés émergents
ne s’est pas faite sans heurts. Plusieurs carences structurelles : faible
liquidité, absence d’investisseurs locaux d’importance, système
judiciaire défaillant, système de gouvernance peu adéquat,
corruption endémique et risque politique élevé ont conduit
à des crises financières, sociales et économiques majeures.

Ces crises ont certainement permis de corriger des lacunes structurelles importantes.
Toutefois, elles ont fait en sorte que les rendements n’ont pas toujours
été aussi attrayants que ceux escomptés. Les rendements
ont été très volatils et l’effet de diversification
anticipé s’est avéré moindre que prévu en
raison d’une plus grande globalisation des marchés et d’un
effet de contagion non négligeable, du moins par région géographique,
au plus fort de la tempête. Nous mettons en évidence des résultats
contrastés selon les marchés, les régions ou les périodes
considérées et abordons également la question de l’impact
des devises sur la performance relative de ces marchés.

Éléments attrayants offerts par
les marchés émergents

Les éléments ayant servi jusqu’ici à définir
les marchés émergents(plus petite taille de l’économie,
plus faible liquidité, problèmes structurels)ne sont pas de nature
à attirer les investisseurs étrangers. Pourtant, l’engouement
pour les marchés émergents est bien présent.

Deux caractéristiques alléchantes
Selon Bruner et al.(2003), deux caractéristiques importantes des marchés
émergents devraient rendre ces derniers attrayants aux yeux des gestionnaires
de portefeuille :

  • leur faible corrélation avec les grands marchés boursiers
    mondiaux;
  • le bon potentiel de croissance future de leur capitalisation boursière.

La faible corrélation entre les marchés émergents
et les marchés développés a fait l’objet de plusieurs
études. Notamment, Harvey(1995)révèle que la faible corrélation
entre les marchés émergents et les marchés mondiaux implique
que l’ajout d’un portefeuille de marchés émergents
à un portefeuille diversifié
de marchés développés devrait permettre une réduction
de 6 % de la volatilité totale du portefeuille tout en maintenant un
même niveau de rendement espéré. Le tableau 3 présente
la matrice de corrélations entre le rendement de l’indice MSCI
EM et ceux d’un indice du marché monétaire
(bons du Trésor américain de 90 jours), d’un indice obligataire
(Lehman Brothers aggregate)et de différents indices boursiers(S&P
500, MSCI World, MSCI EAFE non couverts en dollar américain). Les coefficients
de corrélation avec les indices boursiers des marchés développés
ont augmenté de façon sensible au cours des années en raison
de la globalisation croissante des marchés. Actuellement, les corrélations
des marchés émergents avec le S&P500 sont du même ordre
de grandeur
que dans le cas du MSCI EAFE.

Au niveau du potentiel de croissance future de la capitalisation boursière
des marchés émergents, il suffit de noter qu’en 2002 les
marchés émergents ne représentaient que 10,5 % de la capitalisation
boursière mondiale alors que leurs PIB comptaient pour 20 % du PIB global.
Le tableau 4 permet de comparer la croissance réelle récente du
PIB de certains marchés émergents à celle du Canada et
des États-Unis.

Performance des marchés émergents
sur la période janvier 1988 à décembre 2003

Après avoir examiné les deux principaux éléments
qui justifient le désir d’investir dans les marchés émergents,
nous examinons si la performance historique de ces marchés a généré
les bénéfices espérés. Nous présentons la
performance des marchés émergents dans leur ensemble, puis celle
de certains pays pris individuellement sur les quinze dernières années.

Deux périodes bien distinctes
Le tableau 5 compare la performance de l’indice MSCI EM avec celle de
différents indices. L’indice MSCI EM a connu une performance intéressante
avec le rendement le plus élevé, mais aussi la plus grande volatilité
parmi les six indices comparés. Les deuxièmes et troisièmes
portions du tableau permettent d’observer la cassure significative dans
le profil risque/rendement des marchés qui s’est opérée
aux alentours de la crise mexicaine de janvier 1995. En effet, le rendement
(risque)de l’indice MSCI EM a été de 29,1 %(22,5 %)pour
la période janvier 1988 à décembre 1994, ce qui fait contraste
avec le rendement de 1,1 %(24,1 %)pour la période janvier 1995 à
octobre 2003.

Des
résultats contrastés

Comme nous l’avons fait plus tôt pour les variables macroéconomiques,
nous présentons au tableau 6 les meilleurs et les pires pays du groupe
des 26 marchés émergents en termes de rendement. Nous présentons
d’abord les résultats sur les 10 dernières années,
puis la performance plus récente sur les 12 derniers mois. Les chiffres
les plus frappants se retrouvent à la droite où l’on constate
la performance stupéfiante des marchés émergents au cours
de la dernière année. Il est plutôt déconcertant
de parler d’un «pire» rendement de 26,6 %. Sur 10 ans, les
rendements sont moins impressionnants. Toutefois, la période de 10 ans
est lourdement influencée par les années de crises qui se sont
succédé de 1995 à 1998.

Pour atténuer un peu les effets de ces crises, nous présentons
au tableau 7, la performance des indices
régionaux sur les cinq dernières années(après les
crises), sur les 10 dernières années, puis finalement sur les
15 dernières années. Ce tableau permet de noter un effet temps
et un effet région dans la performance des marchés émergents.

Impact des devises
Tous les résultats présentés jusqu’ici sont les rendements
obtenus après conversion des différentes devises locales en dollar
américain. Toutefois, l’impact de cette conversion peut influencer
passablement la performance. Le tableau 8 présente les rendements sur
10 ans pour différents marchés en dollar américain, puis
en monnaie locale. Les écarts entre les rendements annualisés
en devise locale et en dollar américain peuvent être très
importants(de 10% à 60% selon les marchés). L’investisseur
doit donc garder en tête cet élément primordial lorsqu’il
développe sa stratégie d’investissement à l’égard
des marchés émergents. La couverture du risque de change est un
enjeu important même si son coût est élevé, voire
impossible(manque de liquidité). Toutefois, l’exposition à
un portefeuille de 26 devises conduit à un effet de diversification naturelle
du risque de change.

En
conclusion

Dans ce texte, nous avons examiné le profil risque/rendement des marchés
émergents ainsi que leur performance historique.

Les marchés émergents sont apparus comme une catégorie
d’actif offrant un haut potentiel de rendement, mais au prix d’une
forte volatilité. Historiquement, les marchés émergents
ont permis un grand effet de diversification. Toutefois, la corrélation
entre l’indice MSCI EM et le S&P 500 n’a cessé d’augmenter
depuis 1990. Les bénéfices de diversification pourraient donc
s’estomper. Il ne faut pas aussi perdre de vue le risque d’autres
crises majeures et les risques de contagion s’y rattachant.

Malgré les risques, il apparaît difficile de ne pas se laisser
tenter par les marchés émergents. On peut difficilement rester
indifférent devant les rendements offerts par les différents marchés
émergents au cours de l’année 2003. Il est également
difficile de rester sourd face à l’engouement que suscitent des
marchés comme la Chine ou l’Inde. Finalement, il convient de rappeler
qu’en 2002 les marchés émergents ne représentaient
que 10,5 % de la capitalisation boursière mondiale alors que leurs PIB
comptent pour 20 % du PIB global. Un tel potentiel de croissance peut difficilement
être ignoré.