LES RÉGIMES DE RETRAITE SONT EN CRISE, particulièrement les
régimes à prestations déterminées. Leurs engagements
commencent à peser lourd sur le bilan financier des entreprises. C’est
pourquoi plusieurs d’entre elles ont récemment revu le design de
leur régime. Dans un tel contexte, quel est l’avenir des régimes
de retraite? Le rôle des entreprises envers leurs employés tend-il
à changer? Quatre promoteurs de régime commentent la situation.

À la suite des rendements catastrophiques de 2001 et de 2002, les régimes
à prestations déterminées sont tombés dans le rouge.
Plusieurs employeurs en ont alors profité pour convertir leur régime,
réduisant par le fait même leur part de risque à long terme.

Éric Filteau, adjoint au Vice-recteur – Administration et finances,
à l’Université de Montréal, explique : « Les
régimes à prestations déterminées subissent tellement
de pression que plusieurs promoteurs de régime songent à convertir
ou à mettre en place un régime à cotisation déterminée.
Plus facile à gérer, ce type de régime ne présente
pas de problèmes de solvabilité ou de fluctuation de cotisation.
»

Les régimes à accumulation de capital répondent mieux
aux besoins des jeunes travailleurs d’aujourd’hui, qui changent
plus fréquemment d’employeur. Georges Cabana, vice-président
aux ressources humaines et affaires publiques chez Bowater Canada, croit d’ailleurs
qu’il faudrait créer un nouveau véhicule de retraite hybride
qui assurerait un minimum de revenu garanti aux travailleurs, tout en laissant
une certaine souplesse aux employeurs.

À la suite des nombreuses conversions de régime, Robert Desbiens,
coordonnateur des Avantages sociaux, à la Fédération des
caisses Desjardins du Québec, s’inquiète pour la qualité
de vie des employés une fois à la retraite : « Les mauvais
rendements de 2001 et 2002 ont enclenché un vvent de panique chez les
promoteurs. L’accent mis sur la rentabilité des entreprises et
le rendement des actionnaires a tôt fait de changer les objectifs à
atteindre en matière de risque associé à l’existence
d’un régime de retraite. Dans une vingtaine d’années,
les employeurs seront certainement en bonne position pour face à leurs
engagements, mais qu’en sera-t-il des individus? Pourront-ils profiter
d’une retraite en toute sécurité financière? »

Louis Tassé, vice-président adjoint, Ressources humaines chez
Astral Média, abonde dans le même sens. Il juge que les prochaines
décisions seront cruciales. « Il faudra faire en sorte de ne pas
trop réduire le niveau de vie des retraités, sinon cela pourrait
avoir un impact social désastreux. Les gens devront assurément
travailler plus longtemps pour subvenir à leurs besoins.

» M. Tassé estime qu’il faudrait mieux préparer les
jeunes travailleurs à épargner plut tôt en vue de la retraite,
un avis que partagent nos experts. Selon eux, trop de gens dépendent
essentiellement du régime employeur ou des prestations gouvernementales
à la retraite. Les employés devraient s’impliquer davantage
afin de mieux comprendre les notions de planification financière. À
cet égard, les employeurs et les promoteurs de régime devront
continuer d’assurer un certain paternalisme envers leurs employés
en ce qui concerne l’éducation financière et de la retraite,
du moins pour quelque temps encore.

Les défis des promoteurs de régimes de retraite

D’ENTRÉE DE JEU, la solvabilité des régimes de
retraite en inquiète plusieurs. La solvabilité fausse les données
puisqu’elle centre la gestion financière des régimes uniquement
sur des éléments de court terme, alors que, par définition,
les régimes de retraite exigent un horizon plus lointain. À ce
sujet, Robert Desbiens affirme que les données ont changé récemment:
«Dans un contexte où les entreprises recherchent la rentabilité,
la solvabilité des régimes bouscule la perception qu’ont
les administrateurs de régimes à prestations déterminées.»

Selon Éric Filteau, seule la notion de capitalisation, établie
sur un horizon à long terme, devrait avoir une réelle importance.
« Les notions de solvabilité et de rentabilité rendent la
situation plus alarmiste que la situation réelle. Le conservatisme de
l’Institut canadien des actuaires, qui cherchent à surprotéger
les épargnants, amplifie ce climat d’insécurité.»

Louis Tassé souligne que tous les employeurs sont sensibles aux risques
financiers. « Avec les faibles taux d’intérêt, il devient
difficile de faire des projections à long terme, soutient-il. C’est
ainsi que nous avons converti notre régime vers un régime à
cotisation déterminée pour les nouveaux employés qui joignent
l’entreprise et les anciens qui désirent changer de régime.
Avec le régime à cotisation déterminée, le taux
de cotisation de l’employeur est moindre sauf que ce régime sera
intéressant pour plus d’employés participent au régime.
La conversion du régime ne réduira donc pas nos coûts à
court terme, mais cette décision sera plus avantageuse pour nos jeunes
employés tout en réduisant nos risques financiers à long
terme », continue M. Tassé.

Quant aux régimes plus matures, leur défi sera de conserver les
régimes en place, tout en maintenant un coût qui ne dépasse
pas un certain pourcentage de la masse salariale.

Par ailleurs, la responsabilité de chacune des parties concernant les
surplus et les déficits soulève bien des réactions. «L’appartenance
des surplus et des déficits demeure un sujet litigieux, avance M. Filteau.
La Loi sur l’impôt limite les caisses à un excédent
de 10% du passif. Les caisses n’ont donc pas cherché à générer
d’importants surplus et plusieurs leur reprochent d’avoir offert
des bénéfices trop généreux pendant les bonnes années.
Nou savons maintenant qu’il aurait été préférable
de favoriser un certain conservatisme afin de réduire l’impact
des rendements plus faibles.»

L’idée de prévoir une marge provisionnelle est intéressante,
mais 15 %, comme le suggère la RRQ, lui paraît exagérée.
« Notre comité de retraite a analysé favorablement l’intégration
de la marge provisionnelle dans une clause d’utilisation de surplus »,
ajoute-t-il.

Faut-il préserver les régimes à prestations déterminées
à tout prix?

PLUSIEURS CROIENT que les mesures proposées par la RRQ, l’an
dernier, pour préserver les régimes à prestations déterminées
sont logiques, mais en pratique, elles renforcent la perception négative
de lourdeur, de risque et de complexité des régimes à prestations
déterminées auprès des entreprises. «La rentabilité
des entreprises joue un rôle majeur dans la sélection du type de
régime à offrir, commente Louis Tassé. Aux États-Unis,
la viabilité de certaines grandes entreprises est précaire à
cause des engagements des régimes de retraite.»

La réglementation est devenue très complexe. Les régimes
font face à une problématique de changement de culture d’entreprise,
selon Robert Desbiens. « Avant 2001, le ratio de solvabilité des
régimes pouvait dépasser 130 %. Toute capitalisation qui excédait
un dollar devenait accessible pour un congé de cotisation ou une amélioration
du régime. Maintenant, nous savons qu’il aurait été
préférable de se garder une marge de manoeuvre en fonction de
la nature du régime et de son degré de maturité. »

Les régimes de retraite coûtent très cher aux employeurs.
C’est pourquoi M. Desbiens craint que seuls les régimes à
prestations déterminées des secteurs public et parapublic survivront
à long terme. «Non seulement les employeurs doivent-ils accorder
une portion importante de leur masse salariale en cotisations, mais en plus,
ils doivent verser près de 5% de cette masse pour la RRQ. Il faut donc
prendre les bonnes décisions pour assurer la viabilité des régimes
de retraite. Avant longtemps, ils constitueront des instruments de gestion de
la main-d’oeuvre encore plus importants qu’aujourd’hui»,
pense-t-il.

Certaines statistiques récentes, révèlent que plus de
80% des caisses de retraite affichent un déficit de solvabilité.
« Personne ne parle de capitalisation pour l’instant, ce qui démontre
une certaine incohérence, signale Éric Filteau. Ces caisses ne
sont pas toutes mal gérées tout de même. Les caisses de
retraite doivent tout de même s’autodiscipliner.»

Dans le secteur manufacturier, le mythe de société-providence
est en voie de disparition. Les manufacturiers tentent de sortir des régimes
à prestations déterminées. Le risque sectoriel ainsi que
le cycle de vie des produits dictent ce choix.

Les entreprises manufacturières doivent faire face à d’importants
changements structurels, qui touchent entre autres l’usage des produits
fabriqués.

Georges Cabana explique: « La force du dollar canadien ainsi que la concurrence
étrangère nous forcent à revoir nos méthodes de
gestion. Nous faisons face à de nouveaux concurrents qui offrent un régime
à cotisation déterminée ou pire, qui n’offrent aucun
régime de retraite. C’est ainsi que nous avons dû introduire
des régimes hybrides et des régimes à cotisation déterminée
pour les nouveaux employés afin de réduire le fardeau des engagements.»

«La forte compétition et la mondialisation des marchés,
combinées à l’incertitude des marchés financiers,
ont causé le phénomène de conversion des régimes
à prestations déterminées vers les régimes à
cotisation déterminée, fait valoir Louis Tassé. La charge
financière des régimes à prestations déterminées
est devenue trop forte pour que les manufacturiers puissent survivre.»

Le financement et les investissements des régimes de retraite

LE FINANCEMENT est souvent identifié comme un problème pour
les caisses de retraite. Éric Filteau croit toutefois que les régimes
sont assez financés et bien gérés de façon générale.
Selon lui, la notion de solvabilité vient plutôt déformer
la réalité des régimes de retraite. «Ce qui est surprenant,
c’est que la majorité des caisses investissent toutes plus ou moins
en utilisant la même répartition de l’actif, alors qu’elles
devraient établir leur politique de placements en fonction de leurs besoins
spécifiques reliés à leur passif.»

Robert Desbiens insiste pour sa part pour dire que le nombre important de régimes
en déficit de solvabilité s’explique par des éléments
structurels à court terme. « Le financement demeure tout de même
un problème. Le nombre de retraités augmente et cela vient modifier
la gestion de l’actif. Il faudra faire preuve de prudence en mettant l’accent
sur un bon appariement actif/passif.»

Avec les faibles taux d’intérêt à long terme, plusieurs
soutiennent qu’une approche de gestion guidée par le passif constitue
une solution à considérer.« Il faut tenir compte du passif
dans ses décisions de placement, dit M. Filteau. La maturité de
la caisse a une grande influence sur les placements et la répartition
de l’actif. Tout devient alors une question de compromis entre le rendement
et le risque.»

Georges Cabana préfère rester prudent lorsque vient le temps
d’analyser les rendements des classes d’actif. Il rappelle les taux
d’intérêt faramineux au début des années 1980,
qui ont eu pour effet de doper certains rendements. «Lorsque votre régime
est mature, il faut obtenir un meilleur appariement entre l’actif et le
passif, soit un risque raisonnable tout en obtenant un rendement intéressant
à long terme, soutient-il. C’est la clé pour tous les régimes
à prestations déterminées.»

Comités de retraite : une situation inacceptable

POUR LA GRANDE MAJORITÉ des intervenants du milieu, la loi actuelle
sur la responsabilité individuelle des membres de comités de retraite
est actuellement inacceptable. Les membres présents sur ces comités
peuvent être très à risque financièrement. D’autres
déplorent les hausses des montants de franchise des assurances et remettent
en doute la justesse des maximums de protection.

«De moins en moins d’employés désirent faire partie
des comités de retraite voyant la lourde responsabilité individuelle
qui s’y rattache. De plus en plus de promoteurs de régime sont
sollicités pour offrir une protection à ces personnes, ce qui
peut résulter en un important poids financier sur les organisations»,
déplore Éric Filteau.

La RRQ semble très préoccupée par la situation. Elle désire
préserver cet acquis sur le plan de la transparence et de la diffusion
de l’information. Georges Cabana insiste sur l’urgence d’agir:
«Il faut régler cette question le plus rapidement possible, dit-il.
En complément du rôle fiduciaire des comités de retraite,
nous devons simplifier les procédures pour les organisations, tout en
rendant l’information accessible aux participants. Il faut réduire
le fardeau administratif des régimes et éliminer les coûts
inutiles.»

Louis Tassé évoque, pour sa part, la réalité des
organisations de moindre envergure pour faire bouger les choses. «Les
organisations de moindre envergure sont moins bien nanties face à cette
problématique et les comités se tournent alors vers leur employeur
pour qu’il assume une partie de la responsabilité.»

D’autre part, depuis le 1er janvier dernier, les entreprises doivent
appliquer les Lignes directrices afin de favoriser la saine gouvernance des
entreprises en matière de régimes de retraite. Pour un, Georges
Cabana voit l’application des Lignes directrices comme une excellente
initiative pour les employeurs. «Les employeurs respectaient déjà
certains éléments des Lignes directrices de manière intuitive.
Tout sera plus uniforme et mieux documenté dorénavant.»
Louis Tassé s dit d’accord avec l’idée des Lignes
directrices, mais il voudrait d’abord qu’on cherche à simplifier
au maximum la gestion des régimes de retraite.

Éric Filteau reconnaît pour sa part que les Lignes directrices
aideront les gestionnaires de caisses de retraite. Selon lui, elles circonscrivent
le rôle du fiduciaire et il s’agit davantage d’un appui dans
l’exercice du mandat qu’une obligation légale.

Bien qu’il admette que les Lignes directrices soient rassurantes pour
les gestionnaires de caisses, Robert Desbiens affirme qu’il existe une
multitude d’autres problèmes à solutionner. «Certains
employeurs pourraient croire que la RRQ veuille encore en rajouter sur le dos
des employeurs, ce qui porte ombrage à l’application des Lignes
directrices », déplore-t-il.

L’avenir des régimes de retraite

DANS BIEN DES SECTEURS, la compétitivité des entreprises est
en jeu. Il faut donc s’interroger sur l’avenir des régimes
de retraite. «On parle beaucoup des instruments de retraite, mais on oublie
souvent la finalité des régimes de retraite, revient Robert Desbiens.
Comment les individus pourront subvenir à leurs besoins, une fois à
la retraite, si les prestations des employeurs sont trop faibles?»

Georges Cabana rêve du jour où des produits clé en main
seront disponibles, que ce soit des régimes hybrides ou à prestations
déterminées. Ce régime serait administré par un
tiers et répondrait aux éléments de conformité réglementaire.
Un employeur pourrait choisir le pourcentage de sa masse salariale qu’il
désire investir dans un régime de retraite. Les cotisations pourraient
varier dans le temps au besoin. « On pourrait avoir différents
produits avec une gradation du niveau de remplacement de revenu à la
retraite, explique-t-il. Les entreprises pourraient acheter un produit multiemployeur,
par exemple, qui serait moins risqué et complémentaire au régime
public.»

Louis Tassé ne voit l’avenir des régimes de retraite très
rose, en particulier les régimes à prestations déterminées.
« Il faudra trouver des façons plus simples de gérer les
passifs et des solutions efficaces pour réduire les coûts élevés
de gestion des régimes. La complexité de gestion fait en sorte
qu’on devient plus dépendant des conseillers, ce qui n’allège
pas les coûts. »

Les règles de capitalisation et de solvabilité ont complexifié
la gestion des régimes de retraite, ajoutant un poids financier énorme
sur les organisations. Les entreprises sont moins tentées d’offrir
un régime à prestations déterminées. «Pendant
très longtemps, l’employeur a assuré un certain paternalisme
envers ses employés en vue de la planification de la retraite, enchaîne
Éric Filteau. L’évolution vers les régimes à
cotisation déterminée transfert le risque à l’employé.
Les individus ne sont pas tous en mesure cependant de planifier leur retraite
et de placer leur argent avec efficience, même en leur offrant la formation
nécessaire. Cela risque malheureusement d’avoir un effet pervers
sur les générations futures de retraités.»

À ce sujet, Georges Cabana constate que les régimes à
prestations déterminées ont souvent eu pour effet de déresponsabiliser
les individus en créant une dépendance envers les employeurs.
« Aux États-Unis, à cause de la structure hybride des régimes
de retraite, le niveau d’éducation économique du travailleur
moyen est supérieur à celui de son semblable québécois,
soutient-il. Il faudrait donner une formation vulgarisée à tous
les jeunes adultes lorsqu’ils entrent sur le marché du travail
pour leur expliquer les nuances des diverses options possibles. Cela briserait
la dépendance des employés envers leur employeur. La clé
réside dans la capacité pour les individus de faire de meilleurs
choix économiques plus tôt afin de dégager plus d’épargne
en vue de leur retraite », termine-t-il.

Le magazine Avantages tient à remercier ses partenaires pour la tenue
de cette table ronde : Mercer Consultation en ressources humaines Morneau Sobeco
Normandin Beaudry Watson Wyatt Canada